Défense dans le monde - Colombie : un pays « en guérilla »
Depuis des décennies et plus encore depuis les années 1975-1980, la Colombie est confrontée au défi majeur que représente la permanence sur son territoire d’une subversion armée.
Alors que nous assistons, après une longue période de renoncement, à une sensible reprise en main de la situation par l’armée, il semble intéressant de faire le point sur la nature et la portée des efforts entrepris.
La guérilla
La guérilla dispose d’un volume global de combattants qui pourrait approcher les 20 000 hommes, dont 10 000 combattants équipés et entraînés, et 10 000 « miliciens » mal armés et de valeur opérationnelle douteuse, capables toutefois de faire régner localement un climat d’insécurité suffisant.
Les quatre principaux mouvements subversifs sont actuellement les forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), l’armée de libération nationale (ELN), le mouvement du 19 avril (M 19) et l’armée populaire de libération (EPL). Depuis octobre 1987, ces mouvements ont affirmé leur cohésion par la création de la coordination « Simon Bolivar » dominée par les FARC.
Les FARC, organisation armée du Parti communiste colombien, sont, avec 7 500 h, le mouvement le plus puissant numériquement et le mieux organisé. Elles sont d’ailleurs considérées par les militaires colombiens comme la menace intérieure prioritaire. Leur armement, parfois très sophistiqué, provient essentiellement de Cuba, dont les bateaux de pêche assurent le transit et le débarquement sur la côte caraïbe, mais aussi de la contrebande traditionnelle à la frontière panaméenne. Le mouvement est financé en grande partie par les revenus de la drogue : les FARC ont en effet passé de véritables contrats avec les narcotrafiquants ; elles assurent la protection des installations et des plantations, mais aussi l’écoulement de la drogue en échange de subsides et également du transport par avion des chargements d’armes.
Loin derrière les FARC en effectifs et équipements vient l’ELN, mouvement pro-castriste, qui compte à présent 1 200 h répartis essentiellement sur la zone frontière avec le Venezuela. C’est un mouvement très structuré, commandé par des intellectuels, qui tire ses revenus du racket des entreprises pétrolières.
Le M 19 est un mouvement essentiellement urbain, dont les actions spectaculaires ont un retentissement médiatique important, notamment en Occident. Il s’agit pourtant là d’une menace secondaire : ses effectifs ne dépassent pas 300 hommes ; faute de responsables compétents et de doctrine cohérente, c’est un mouvement en décadence qui continue néanmoins à se signaler par des opérations d’enlèvements ou d’occupations de locaux.
Vient enfin l’EPL, elle aussi peu représentative, qui recrute surtout parmi les étudiants et compte 750 hommes peu et mal équipés.
L’évolution politique
La guérilla avait subi des coups très durs à l’époque du président Turbay (1978-1982) qui, bien qu’authentiquement libéral, avait donné les pleins pouvoirs à l’armée dans le cadre de la lutte antisubversive, sans lésiner sur les moyens.
Lorsqu’en 1982, le président Betancur accède à la présidence, le pays est las de cette violence. Le nouveau pouvoir décide donc de s’attaquer au problème sur la base de la conciliation nationale, en reconnaissant l’existence politique des rebelles et en réduisant notablement le budget de la défense.
C’est durant le mandat de M. Betancur que les FARC acquièrent, à travers l’union patriotique, une représentation politique qui leur donne accès au jeu légaliste. L’événement pouvait laisser augurer d’un succès de la politique de dialogue. En fait, la méfiance réciproque et surtout la mise à profit de la trêve par les guérilleros pour renforcer leur dispositif et leurs moyens, conduiront cette entreprise généreuse à l’échec. En effet, des accords de paix sont bien signés avec les FARC (avril 1984) et le M 19 (août 1984), mais les premières continuent leur recrutement tandis que, le 13 novembre 1985, l’occupation du palais de justice de Bogota par le second débouche sur de sanglants affrontements.
Pendant les premiers mois d’exercice du président Barco élu en mai 1986, la rupture de la trêve par les FARC à Florencia, le 17 avril 1987, coûte la vie à 27 militaires et, confirmant la duplicité de la guérilla, encourage le nouveau pouvoir à infléchir la politique précédemment engagée.
Jusqu’à la fin de l’année 1987, il n’y a pas de volonté publiquement affirmée de lutter contre la guérilla. L’armée reste la cible des attaques rebelles et paie un lourd tribut journalier ; elle est par ailleurs l’objet de critiques d’une partie du monde politique sans que le pouvoir en place ne cherche à la défendre. Les propriétaires et les sociétés victimes du racket de la guérilla organisent des unités armées privées pour assurer leur sécurité.
Dans ce pays où l’on achète les services d’un tueur pour 400 francs, on voit apparaître des groupes de mercenaires affrontant, selon leur obédience, le milieu politique, les terroristes, les agriculteurs ou les narcotrafiquants. Dès lors, l’urgence d’une réaction gouvernementale s’impose.
Dès le début de l’année 1988, le président Barco annonce que la lutte contre le terrorisme sera menée avec la plus grande fermeté. En dépit de l’opposition d’autres instances institutionnelles, notamment celle du procureur général de la nation, on assiste à une « militarisation » des régions les plus sensibles du pays, où des maires et des gouverneurs militaires remplacent les civils. Surtout, le président redonne confiance et moral à l’armée, en soulignant l’importance de son action pour la sauvegarde de la démocratie colombienne et en promettant un accroissement de ses effectifs. Même si, s’agissant des moyens et de l’équipement, le président est peu pressé de satisfaire aux demandes des militaires, la priorité budgétaire restant pour lui la lutte contre la pauvreté, l’armée se ressaisit et reprend l’initiative.
L’armée face à la guérilla
Il n’est pas exagéré de dire que l’armée a actuellement entre ses mains l’avenir de la démocratie colombienne. Confrontée à une guerre de harcèlement, elle doit créer les conditions d’une négociation où l’État sera en position de force. Néanmoins, si le moral et la pugnacité sont revenus au sein de l’institution militaire, force est de constater que les troupes sont handicapées par leur insuffisance numérique et manquent cruellement d’équipements et même de munitions.
Malgré quelques efforts consentis par le gouvernement, et qui ont permis à l’armée de porter ses effectifs de 150 000 h en 1985 à 200 000 aujourd’hui, ce chiffre reste insuffisant pour contrôler efficacement les zones d’implantation de la guérilla, régions souvent reculées ou enclavées. En outre, l’armée ne peut bien souvent intervenir que de nombreuses heures après une opération de guérilla : les hélicoptères, moyens de transport les plus efficaces vers les zones montagneuses, sanctuaires des rebelles, lui font gravement défaut.
En dépit de ses handicaps, l’armée parvient aujourd’hui à contenir la poussée de la guérilla, sans toutefois pouvoir la réduire. Dans cette confrontation, il faut retenir quatre zones d’opérations prioritaires.
La plus critique est : Cesar-Nord Santander-Arauca (nord-est). C’est un des fiefs de la guérilla, et notamment des FARC ; certaines villes sont pratiquement isolées du pays. Les trois départements sont placés sous le contrôle de la 2e Division d’infanterie (DI), renforcée de deux bataillons d’infanterie de Marine et d’une brigade autonome.
La plus anarchique est : l’Antioquia (capitale : Medellin). Dans cette zone ont eu lieu, ces derniers mois, de sanglants massacres souvent liés au trafic de drogue. L’administration judiciaire y est quasi inexistante et c’est le règne de la loi du plus fort. Tandis qu’un gouvernement militaire a été créé pour la zone sensible d’Uraba, la 1re DI et la 11e Brigade maintiennent difficilement un ordre public perpétuellement menacé par les actions de guérilla et le grand banditisme lié au narcotrafic.
Tolima et Cauca (centre et centre-ouest), où opère la 2e DI, qui porte des coups très durs au M 19, sans toutefois pouvoir encore l’éliminer définitivement.
Meta, où la 4e DI remporte des succès certains.
Un seul but : retrouver la stabilité
La guérilla vise non seulement à déstabiliser la Colombie, mais à y faire régner un climat d’insécurité et d’anarchie tel que le scénario d’un coup d’État militaire ne deviendrait plus invraisemblable. Elle serait alors en position de cristalliser toutes les oppositions et d’acquérir plus de prestige et de légitimité. Cette éventualité est peu probable. La Colombie est en effet une des plus anciennes démocraties d’Amérique du Sud et devrait rester attachée à des solutions ne justifiant pas l’abandon du régime démocratique.
Le gouvernement de M. Barco doit néanmoins continuer à affirmer sa confiance dans les capacités de l’armée à en finir avec la menace subversive et lui donner les moyens humains et matériels de cette reconquête de l’ordre intérieur. Seules cette volonté politique et sa réaffirmation dans le temps peuvent permettre à la Colombie de retrouver une stabilité indispensable à la mise en valeur de ses potentialités. ♦