Aéronautique - L'armement guidé laser (I)
Il y a 2 ans, au Salon de Farnborough, la société Matra annonçait le début de la production en grande série de la bombe guidée laser de 1 000 kg, spécialement conçue pour la destruction des objectifs « durs » (piles de ponts, viaducs…). Le 28 juin 1988, au Centre d’essais des Landes, le tir d’un missile supersonique AS-30 Laser mettait fin à la phase d’évaluation technico-opérationnelle de cet armement moderne, efficace et précis, en service dans l’Armée de l’air française sur Jaguar.
Le guidage par laser des armements air-sol n’est pas à proprement parler une découverte de ces dernières années. Le développement de l’optoélectronique (de l’anglais « optronics », technique utilisant simultanément l’optique et l’électronique) aux États-Unis a permis, dès 1963, la réalisation d’un missile et d’une bombe guidés par télévision. Deux ans plus tard, apparurent le missile et la bombe guidés par laser.
Le conflit du Vietnam, au cours duquel les premières bombes dites « intelligentes » (smart bombs) furent expérimentées, et d’où nous extrairons plusieurs exemples, avait toutefois montré que cette technologie nouvelle devait encore être améliorée, singulièrement dans le domaine de la précision. Quinze ans après, avec le missile AS-30 Laser de l’Aérospatiale et la BGL 1000 de Matra, l’industrie aéronautique française a réussi, pour la première fois dans le monde occidental, la performance technique de mettre au point un système d’armes à guidage laser automatique, sur avion monoplace.
Dans une première partie, cette chronique voudrait montrer que les contraintes opérationnelles de la mission d’assaut, associées au souci de préserver le potentiel aérien, justifiaient amplement l’étude et la réalisation d’un armement air-sol précis pouvant être tiré hors du domaine des défenses antiaériennes de l’objectif (distance stand off). La deuxième partie, développée dans la chronique de janvier 1989, après un bref rappel des principes du guidage laser, précisera les grandes lignes de la solution américaine, puis celles du choix de l’Armée de l’air française, avant de conclure sur les capacités opérationnelles de ces armements et sur l’évolution souhaitable des armes à guidage terminal.
Les contraintes de l’assaut aérien…
La mission principale des forces aériennes tactiques est l’appui aérien. En réalité, ce terme recouvre plusieurs missions qui se différencient essentiellement par la nature des objectifs à détruire (ou à neutraliser), par celle des armements utilisés et par les modes d’attaque.
Les objectifs traités par une mission d’appui rapproché des troupes amies sont camouflés, blindés ou non, et en général mobiles. En revanche, ceux d’une mission d’interdiction du champ de bataille aux troupes ennemies, de neutralisation du potentiel militaire et économique ou de destruction de l’infrastructure adverse – ponts, radars, barrages, abris – sont durcis, généralement bien localisés et protégés par des défenses antiaériennes. Leur destruction exige des armes qui offrent une très grande précision, une charge militaire très efficace, une portée cohérente avec la distance de détection adverse et la possibilité de manœuvre pour l’avion aussitôt après le tir.
Deux de ces caractéristiques sont primordiales : la précision, gage de la neutralisation de l’objectif, la liberté de manœuvre pour l’avion, immédiatement après le largage, qualité indispensable à sa survie. Or, force est de constater que l’armement air-sol en service dans les dernières décennies ne répondait à aucun de ces deux critères.
Les munitions classiques, bombes, roquettes, obus, ne sont pas dotées de dispositifs de guidage terminal, et présentent l’inconvénient majeur de s’écarter de la trajectoire prévue sous l’influence de paramètres (variations du vent par exemple) impossibles à intégrer par les meilleurs calculateurs de tir. C’est la dispersion, phénomène aléatoire, qui interdit à la probabilité d’un coup au but d’être vraiment proche de 1. Afin de minimiser les conséquences de ce défaut, il était donc nécessaire d’adopter des techniques d’attaque à basse altitude – tir avec les armes de bord, bombardement en vol rasant –, qui imposaient de faibles distances d’ouverture du feu ou de largage des bombes. Cela permettait d’augmenter la précision en réduisant le temps de parcours des projectiles, donc la dispersion.
… face à une défense efficace
Mais ces méthodes contraignent les avions à pénétrer dans le volume d’efficacité des défenses sol-air adverses, ce qui explique les taux de pertes élevés que rencontre généralement l’aviation d’assaut dans tous les conflits. Pour la Seconde Guerre mondiale, l’Armée de l’air américaine fait état d’une moyenne de 9 avions abattus par la défense antiaérienne, pour 1 000 sorties. Pendant la guerre du Kippour, le taux de pertes des Douglas A-4 Skyhawk israéliens, spécialisés dans l’appui rapproché, se situait entre 10 et 15 pour 1 000, selon les phases du conflit.
De tels taux d’attrition, qui affectent à la fois les potentiels humain et aérien, ont de quoi préoccuper les états-majors. Le temps n’est plus, en effet, où l’on instruisait en quelques semaines des pilotes destinés à voler sur des avions construits par milliers et prévus pour être « consommés » après quelques missions seulement. De nos jours, il faut en moyenne deux ans et demi pour former un pilote de combat opérationnel, le double pour un chef de patrouille… Pour exécuter la mission d’assaut, la Force aérienne tactique française (Fatac) ne dispose, hors vecteurs nucléaires, que d’environ 200 à 250 avions… Quant au coût d’un appareil de combat, il a cessé, depuis longtemps, d’être négligeable.
Réussir un assaut aérien, c’est-à-dire détruire l’objectif assigné, est une mission difficile qui présente un caractère quelque peu paradoxal : pour être assuré d’un coup au but, l’avion doit s’approcher au plus près de l’objectif ; ce faisant, confronté à une défense sol-air de plus en plus dense, il voit ses chances d’arriver au point idéal de largage diminuer sensiblement.
Économiser un potentiel aérien devenu précieux et pallier l’imprécision de l’armement classique ont naturellement conduit les états-majors, les services techniques et les industriels sur la voie de la recherche d’un armement permettant d’approcher les objectifs à très basse altitude et à très grande vitesse, de tirer à des distances supérieures à la portée des systèmes de défense rapprochée, d’avoir une grande précision à l’impact. L’armement à guidage terminal, optoélectronique tout d’abord, puis laser, est né de ces exigences.
Les premières armes « intelligentes »
Schématiquement, une bombe « intelligente » est une bombe classique dans laquelle il suffit d’introduire un cerveau. Les premières furent fabriquées durant la Seconde Guerre mondiale mais, faute à l’époque de progrès suffisants dans le domaine de la miniaturisation électronique, elles ne donnèrent que des résultats très décevants.
Le grand public ne découvrit les performances dont elles étaient capables que lors du conflit du Vietnam. La première utilisée fut la bombe planante Walleye de la Marine américaine. C’était une bombe classique de 374 kg, équipée d’une caméra de télévision à l’avant qui était « verrouillée » sur l’objectif avant le largage. Le commander Homer Smith, qui le premier utilisa une Walleye au combat lors de l’attaque de la caserne nord-vietnamienne de Sam Son, put observer sur son écran la bombe qui se dirigeait automatiquement sur la cible.
Toutefois, l’utilisation d’un tel armement présentait deux inconvénients majeurs : avant largage le pilote devait maintenir le vol horizontal entre 15 et 20 secondes, délai qui suffisait amplement à la Défense contre l’aviation (DCA) ennemie, et les avions équipés de bombes TV ont souffert quatre fois plus des coups de la défense antiaérienne que ceux qui emportaient des bombes classiques ; les effets destructifs de la charge militaire de la Walleye étaient nettement insuffisants contre des objectifs « durs ».
Le problème posé aux ingénieurs américains n’était pas facile. Il s’agissait d’augmenter la charge explosive et surtout la distance de largage sans que la précision se dégrade. La réponse fut donnée en 1972 lorsqu’une bombe de 1 300 kg, larguée en altitude à 50 kilomètres de distance, parvint à se diriger sur sa cible. À l’intérieur de l’arme étaient installés un mini-ordinateur et une caméra Walleye. Lorsque le pilote accrochait sa cible avec la caméra, l’ordinateur enregistrait les contours d’ombre et de lumière dans sa mémoire de façon plus fine que ne le faisait auparavant la seule caméra Walleye puis, après largage, utilisait cette « carte » pour guider la bombe vers le but tandis que le pilote effectuait son demi-tour.
Parallèlement à la technique de guidage électro-optique, celle du guidage laser, qui avait la préférence de l’Armée de l’air américaine apparut en 1968. La description de l’armement guidé par laser, beaucoup plus intéressant que les bombes TV au plan coût-efficacité (3 000 dollars 1972 contre 18 000), les solutions adoptées par les armées de l’air américaine et française, ainsi que les développements que l’on peut en attendre, feront l’objet de la prochaine chronique. ♦