Propousk ! Missions derrière le Rideau de Fer (1947-1989)
Propousk ! Missions derrière le Rideau de Fer (1947-1989)
Propousk ! a été écrit par le général Manificat pour honorer ses camarades disparus et relater l’histoire, fort méconnue, de la Mission militaire française de liaison (MMFL) près le Haut commandement du GFSA, le corps soviétique en RDA. Créée le 3 avril 1947, elle a été dissoute le 30 juin 1991. L’auteur, qui fit une grande partie de sa carrière militaire dans le Renseignement, a passé trois ans (1982-1985) dans cette petite formation interarmées, très particulière et très discrète. La discrétion n’est-elle pas la qualité première des gens du Renseignement ?
9 mai 1945 : l’Allemagne capitule. 12 mai : le Rideau de fer tombe… 30 juillet : l’Allemagne est divisée en quatre zones d’occupation, et Berlin, qui est en zone soviétique, en quatre secteurs. Pour faciliter les communications entre les différents commandants en chef, des accords bilatéraux entre l’URSS et chacun des trois autres vainqueurs mettent en place des missions militaires de liaison (MML) pouvant circuler librement sur terre et dans les trois couloirs aériens menant à Berlin. Pour leur zone, les Soviétiques délivrent un document : le propousk (« laissez-passer » en russe).
Très rapidement la situation géopolitique change, des tensions apparaissent entre les anciens alliés, la guerre froide éclate. Les trois MML du camp occidental sont alors chargées d’assurer une veille permanente – c’est-à-dire « faire du renseignement » – derrière le rideau de fer, en fait sur le seul territoire de la RDA. Deux objectifs : le GFSA et l’armée est-allemande (la NVA). Jusqu’en 1990 et en coopération très étroite avec leurs homologues des Missions britannique et américaine, des équipages français – 18 militaires de la MMFL – vont sillonner, toujours en uniforme, le territoire de la RDA en ouvrant tout grand leurs yeux, leurs oreilles, ainsi que les divers capteurs et enregistreurs montés dans leurs véhicules adaptés. Une seule règle : ne pas se faire prendre en pleine action ou en zone interdite ; et son corollaire : nier l’évidence. Car les Soviétiques ne sont pas dupes, mais semblent tolérer ces activités de renseignement. « Vous savez, nous savons parfaitement quel est le travail des missions. Ce n’est pas un problème, mais n’abusez pas trop ! » dit un jour le général Kochevoy, commandant le GFSA. De nombreux incidents, certains cocasses, d’autres dramatiques, vont émailler le travail de ces militaires très particuliers, porteurs du propousk – ce qui leur évite tout contrôle de la part des autorités de la RDA – qui roulent par tout temps et en tout lieu, adorent se fondre dans le paysage, mangent et dorment quand et où ils peuvent, sont toujours aux aguets. Car Soviétiques et Allemands de l’Est ont mis sur pied un efficace système de surveillance et d’interception disposant de gros moyens techniques et humains, et surtout de la Stasi, la redoutable et omniprésente sécurité d’État est-allemande. Face à ce système, le travail sur le terrain va devenir de plus en plus risqué pour les MML occidentales et la guerre froide sera parfois « tiède » en Europe : des blessés, certains gravement, et deux morts (un Français et un Américain).
Pratiquement seul ouvrage existant sur la MMFL, Propousk ! a été rédigé à partir des témoignages ou récits recueillis par l’auteur auprès de ses anciens camarades de la Mission encore en vie. Car, et c’est curieux, les archives de cette unité ont pratiquement toutes disparu peu après sa dissolution officielle, sans doute suite à l’acte aussi rapide qu’irréfléchi, a priori, d’un fonctionnaire peut-être trop zélé. Si cette destruction est une catastrophe pour les historiens, elle est opportune pour la raison d’État.
Propousk ! se divise en cinq parties et un épilogue. Plus de 140 photos sur 32 pages — dont de nombreuses prises sur le vif, comme le blocage par la NVA de l’auteur et son équipage à Grimme (RDA) — illustrent l’ouvrage, et cette iconographie abondante est « un plus » important, malgré le petit format des photos : le lecteur reconnaîtra certains matériels soviétiques. Dans le texte, on trouve des paragraphes décrivant : l’Homo Sovieticus et ses différences d’avec l’Homo Gallicus et l’Homo Otanicus ; la RDA, son armée et ses habitants ; la MML soviétique (MMSL) de Baden-Oos et ses modes d’action différents de ceux de la MMFL, etc. On peut regretter la brièveté, relative, du texte sur cette MMSL : développer ce paragraphe aurait été intéressant, car vers 1969-1971 on ne semblait pas trop s’inquiéter, dans les FFA, des possibles « promenades touristiques » faites par les camarades de la MMSL. En annexes on trouve, en particulier, l’accord Noiret-Malinine (avril 1947), l’organisation de la MMFL, un plan d’opération de la Stasi (celui qui coûta la vie à l’A/C Mariotti), etc.
La lecture de Propousk ! fait donc découvrir les raisons pour lesquelles l’Ordre de bataille du Pacte de Varsovie était bien connu, ainsi que ses matériels de guerre. La section « Air » de la MMFL, avec ses vols en avion léger au-dessus des environs de Berlin et dans les couloirs aériens, a apporté sa contribution à cette connaissance en permettant de regarder « par-dessus l’épaule de l’adversaire ». Quelques photos de l’iconographie le prouvent. En conclusion, Propousk ! est un livre à lire et à mettre dans sa bibliothèque, et bien en vue. ♦