Le système international contemporain
Après avoir chaussé de bonnes lunettes (car les caractères sont minuscules), le lecteur découvrira ici un panorama historique et géopolitique à la fois complet et synthétique de la seconde moitié du XXe siècle. Un recul suffisant, au moins vis-à-vis du fait originel, permet à l’auteur de situer en 1945 la grande rupture qui en « unifiant le devenir de la planète », portait en germe toute la suite. Les deux configurations, bipolaire puis unipolaire, qui dominent la période se situent selon lui « dans le prolongement l’une de l’autre » et les bouleversements produits par la chute du mur de Berlin ne sauraient être interprétés que comme « une simple transition infra-systémique du système hérité de la Seconde Guerre mondiale ».
partir de ce jugement de base, Jean-Jacques Roche distingue quatre stades entre lesquels les limites sont forcément floues, comme il le reconnaît au passage : « L’indécision quant à la date d’apparition de la détente se retrouve quant à la date de sa disparition ». Ce découpage un peu arbitraire révèle par ailleurs un certain esprit de système qui s’attache à gommer les aspérités et à justifier la continuité du raisonnement. C’est ainsi que les tentatives des non-alignés sont présentées comme « la conséquence de la bipolarité qu’ils contribuent à confirmer dans la mesure où la contestation d’un ordre établi constitue en même temps la reconnaissance implicite de cet ordre », ou encore que la disparition de passerelles (entre les deux Grands) fournit l’occasion de « mesurer leur caractère indispensable ».
L’objectivité et la précision sont de mise. Tout au plus pourra-t-on s’étonner de l’insistance (pages 14 et 29) à accuser la France d’avoir unilatéralement déclenché la guerre d’Indochine par le bombardement d’Haiphong de 1946, ou de la désignation du Yalou comme frontière entre les deux Corées (page 35). Quant à la conclusion selon laquelle l’unique puissance dominante résiduelle « ne vise pas la soumission de vassaux », ce n’est pas au printemps 1999 que nous nous hasarderons à discuter de ce sujet épineux.
Il ressort de la lecture, sans que cela constitue une surprise, qu’avant de tomber dans le « piège diplomatique » de la troisième corbeille d’Helsinki, les Soviétiques firent preuve longtemps de vues géostratégiques plus nettes et d’un projet politique plus ferme que leurs rivaux « découvrant le monde extérieur » après la guerre et menant « sans réel plan d’ensemble » une « politique impériale imposée par les événements », y compris lors de la détente. Celle-ci ne fut considérée à Moscou que comme une « phase transitoire ». L’affrontement étant devenu la règle, « seules ses modalités étaient transformées » par l’utilisation d’instruments et de barrières comme le téléphone rouge ou les Salt, et on se contenta de « circonscrire les zones de convergence au milieu de la multiplicité des facteurs d’opposition ». Cette détente, qu’elle était belle sous la guerre froide où pourtant le confort intellectuel était absolu et la stabilité garantie ! Les positions y étaient tranchées, les domaines bien délimités et on ne se combattait que « par alliés interposés... via la théorie des conflits périphériques ». « Paralysés par un excès de puissance... prisonniers de l’écheveau des contraintes nées de la bipolarité et du nucléaire », les adversaires savaient s’arrêter à temps au bord de l’abîme, tandis que les petits, obligés de prendre parti, se réfugiaient dans un camp ou dans l’autre comme « les vassaux dans les châteaux forts du Moyen Âge ». On constate par ce chapelet de citations que le propos est imagé et la lecture en général facile. L’auteur n’abuse pas d’audacieuses subtilités, comme celle où il entend discerner dans le comportement des protagonistes une « complicité rivale » chez l’un et une « rivalité complice » chez l’autre ! Le récit, volontairement concis, des vingt dernières années permet de suivre aisément la sclérose de l’empire éclaté soumis à la « schizophrénie de hiérarches (?) vieillissants », tandis qu’on assistait en face au « retour des certitudes » de l’ère Reagan. Après 1988, année charnière où s’accumulent les règlements, apparaît le « triomphe par défaut d’une seule idéologie » que l’auteur compare, de façon astucieuse et convaincante, à la domination bismarckienne.
Celui qui, du fait de son âge et de ses centres d’intérêt, a vécu cette époque, ne trouvera pas de révélations fracassantes — ce n’est évidemmment pas le but poursuivi —, mais un rappel clair et condensé des événements majeurs qu’il a pu suivre au cours de ces décennies, ainsi que l’exposé d’une thèse cohérente et raisonnable. Le jeune étudiant bénéficiera, de la part d’un professeur talentueux, d’une vision globale et dépassionnée de la genèse du mode d’aujourd’hui. ♦