L’année internationale 1990, annuaire de la revue Politique Internationale
La revue Politique internationale a diffusé un « annuaire géopolitique mondial 1990 », vaste entreprise aux limites imprécises dans laquelle il convient de ne pas se perdre dans un fouillis encyclopédique, tout en sélectionnant les sujets majeurs parmi les innombrables problèmes qui assaillent un monde en ébullition. L’ouvrage comporte essentiellement un recueil copieux d’articles sous les signatures connues des classiques experts évoluant sur leur terrain favori. Il est articulé par régions géographiques, avec deux parties en facteur commun (« Défense et armements » et « La vie du monde »), soit au total douze chapitres comprenant en moyenne 7 ou 8 articles.
Il ne saurait évidemment être question ici de rendre compte par le menu du fond, c’est-à-dire ni plus ni moins de l’état de la planète et des relations entre ses occupants. Une simple promenade en si bonne compagnie peut se dérouler suivant plusieurs itinéraires : le premier passe par une lecture exhaustive, quelque peu austère, permettant le recyclage de celui qui a parcouru avec une légèreté coupable les périodiques des kiosques et qui éprouve un besoin de synthèse devant le foisonnement chaotique dont l’ont abreuvé quotidiennement les journaux télévisés ; le second conduit vers des lieux plus familiers que d’autres, au risque d’embarquer dans son sac à dos ses propres préjugés et de critiquer le texte des pancartes du bord du chemin, au lieu de les déchiffrer avec le zèle du néophyte ; le dernier itinéraire, le plus paresseux, conduit vers les rayons de la bibliothèque après un coup d’œil permettant de vérifier qu’on disposera en cas de besoin de tel ou tel bilan régional précis.
En empruntant le premier itinéraire, par conscience et par modestie, nous avalerons au fil des pages, sans trop de difficultés, des articles en général courts et bien ciblés, reflétant chacun les qualités de style et la « sensibilité » personnelle (parfois apparente) de l’auteur. Nous dénicherons nombre de formules percutantes ou imagées, du titre de Renata Fritsch-Bournazel « Weizsäcker, un président solide pour des temps incertains » à la formule de Georges Sokoloff : « Trop de roubles font désespérément la chasse à trop peu de biens de consommation ». Nous bénéficierons de descriptions claires de situations particulières, aussi bien celle de la Turquie laïque dans le prolongement de la politique d’Atatürk (Semih Vaner) que celle de l’Indonésie face à ses problèmes de succession et de décollage (François Raillon). Nous apprécierons le portrait d’un étrange personnage, Nguyen Van Linh (M. Benichou), et apprendrons au passage de bien curieuses choses, comme l’idée des « brilliant pebbles ». Vous ignorez ? Alors, précipitez-vous page 215.
Deux difficultés potentielles semblent avoir été évitées : la première était la dispersion. En l’occurrence, le lecteur sait où il en est grâce au découpage géographique, chaque chapitre étant en outre appuyé sur une carte soignée et lisible, une chronologie (signée) couvrant la période juin 1988-août 1989 et une bibliographie contemporaine. Quelques tableaux récapitulatifs rappellent la relativité des choses (les 8 200 habitants du micro-État de Tuvalu ou les 195 dollars annuels de PIB par tête du Tchad). Merci aussi à Henri Eyraud (fort éclectique puisqu’il parle plus loin excellemment de la réorganisation de l’armée chinoise) de revenir sur les « grandes négociations stratégiques » ; comme pour les neuf muses, on en oublie toujours une… Que les chefs d’orchestre Patrick Wajsman et François Joyaux l’aient ou non prémédité, il est enfin parfois possible de déceler dans ces chapitres l’émergence d’une sorte d’élément fédérateur. C’est ainsi qu’on serait tenté, pour l’Europe occidentale, de citer un mot-clé : Allemagne ; pour l’Amérique du Nord, de poser une question : « Qui est Bush ? » (insaisissable, répond Stanley Hoffmann) ; pour l’Europe de l’Est, de chercher la réponse à une autre interrogation : « Jusqu’où ? » (en tout cas, quel remue-ménage ! selon Alexis Berelowitch). Le petit jeu pourrait se poursuivre…
Le second obstacle prévisible résidait dans la péremption, étant donné la rapidité actuelle de l’évolution et la méchanceté des attentistes vis-à-vis de ceux qui prennent des risques. Eh bien, reconnaissons que les augures ont bien résisté à l’épreuve de l’hiver ! Si, peut-être par l’effet d’un soupçon d’« antireaganisme », Alain Destexhe semble avoir surestimé les chances des sandinistes et parlé un peu vite de fiasco de la politique des États-Unis en Amérique centrale, le tableau roumain d’Édith Lhomel est assez prémonitoire, tout comme l’analyse sud-africaine de Charles Zorgbibe ou encore les prévisions afghanes de Michael Barry.
Ayant fait plus ample connaissance avec le sage Moubarak et la fragile Benazir, le lecteur rassasié, après avoir glissé sous son oreiller L’année internationale qui nourrira ses rêves, peut s’endormir, mission accomplie, en comptant tristement les factions cambodgiennes. ♦