L’Inde, grande puissance de l’océan Indien
Il s’agit du relevé des communications effectuées lors d’un colloque organisé au début de 1988. Les interventions sont regroupées suivant les thèmes des trois demi-journées de la réunion : l’Inde en Asie du Sud, l’Inde dans l’océan Indien, les Indiens dans le monde.
La réalité décrite est assez éloignée de l’image classique d’un frêle mahatma prêchant la non-violence entre deux bains dans le Gange. Le premier sujet d’étonnement, après tout, est que « ça marche », si l’on songe à cette composante de choix de l’Empire britannique précipitée dans l’indépendance et le partage par « l’impétuosité d’un Mountbatten pressé par le gouvernement Atlee », à cette masse hétérogène de 800 millions d’êtres humains n’ayant de langue commune que l’anglais, travaillée par les tentations centrifuges et les particularismes religieux. Écartant un « jacobinisme impossible », mais préservant l’unité foncière et les principes démocratiques, « les pères fondateurs de l’Inde sont allés plus vite en besogne que les pères de l’Europe ».
Non contente de subsister, l’Inde affirme sa suprématie régionale en s’appuyant en particulier sur des forces armées importantes, « voire démesurées », qui ont oublié les humiliations initiales et ont récemment fait la loi lors de l’imbroglio sri lankais, débouchant sur une véritable finlandisation. Au sein de l’association sud-asiatique de coopération régionale (la SAARC), famille de sept frères égaux en théorie, l’Inde pratique le « big brotherisme » et met en œuvre à son profit sa propre doctrine de Monroe. Le Pakistan ne fait plus guère le poids dans l’affrontement chronique des « Atrides du sous-continent », quitte à travailler sur l’atome dans la perspective paradoxale d’une nucléarisation régionale !
Reste la Chine. Le contentieux frontalier amène les protagonistes, selon un intervenant amateur de formules bien frappées, « à se côtoyer sans se connaître, à se rencontrer sans se comprendre et à négocier sans s’accorder ». La rivalité explique l’alliance avec l’URSS, tandis que les États-Unis, malgré les sympathies initiales, ont en grande partie gâché leurs chances.
Sur le plan mondial, la politique de non-alignement elle-même est teintée de volontarisme. Chef de file des décolonisés à Bandoeng, tenant du « neutralisme actif », l’Inde exprime certes « le reflet d’une longue tradition philosophique et culturelle de tolérance », mais aussi le désir de parler haut et fort…
Il est pourtant un atout que l’Inde joue peu (en tout cas moins que d’autres !) ; c’est celui de la diaspora indienne, qui n’est plus seulement le fait de déshérités : la moitié des professeurs du secondaire en Éthiopie sont indiens et les 200 000 immigrants du Canada viennent du drainage des cerveaux.
Au total, le lecteur peu averti (qui souhaiterait disposer d’une carte pour accompagner un tel ouvrage) en apprend de « belles ». Bien qu’ayant déjà soupçonné naguère l’« impératrice » Indira de ne point être une enfant de Marie, il reste surpris d’entendre, provenant d’un pays devenu peut-être « grande puissance malgré lui », plus de bruits de bottes que de beuglements de vaches sacrées. ♦