Est-ce en raison du dynamisme de son peuple ou parce qu’il dépend largement du reste du monde pour son approvisionnement en matières premières que le Japon a acquis une vision mondiale de la stratégie ? La sienne repose sur le concept de « globalisme » : à l'instar de l'allié américain, il procède à des investissements importants à l'étranger et il prévoit de les accroître de façon considérable. Il est présent sur tous les grands marchés mondiaux. Il fait travailler à bon compte les pays d'Asie du Sud-Est, dont la main-d'œuvre est abondante et bon marché, leur confiant les fabrications banales et se réservant celles des produits à forte valeur ajoutée. Il assoit ainsi sa suprématie économique sur maints riverains du Pacifique, en particulier sur l'Indonésie. La puissance économique du Japon lui ouvre la possibilité d'un effort militaire important, mais en crée-t-elle le besoin ? Sans doute cette expansion économique mondiale présente bien des vulnérabilités et des aléas. Mais ceux-ci ne peuvent être couverts par la puissance militaire conventionnelle. Quant à la puissance nucléaire, le Japon s'en remet à celle de l'allié américain. Le développement d'une force militaire classique ne ferait qu’inquiéter inutilement ses clients.
Continuité et aléas de la stratégie mondiale du Japon
De la croissance exceptionnelle du Japon, l’on a longtemps cherché les principales raisons dans les particularités de l’organisation économique et sociale de ce pays : les comportements des salariés, des entrepreneurs, des banques, du ministère du Commerce international et de l’Industrie (le MITI) ont le plus attiré l’attention. Pétrole et matières premières à bas prix et en quantités illimitées, marchés étrangers grands ouverts, « présence » américaine en Asie, tout ceci allait de soi et suscitait beaucoup moins de commentaires.
Les multiples « chocs » que le Japon a subis depuis 1971 ont secoué cette apparente quiétude. L’inconvertibilité du dollar et les contacts inopinés des États-Unis avec la Chine, l’embargo momentané sur le pétrole et le quadruplement de son prix ont été des secousses majeures. La limitation des exportations américaines de soja et le contrôle récent des livraisons d’aciers spéciaux nippons aux États-Unis, les grincements de plus en plus nombreux dans les relations économiques avec l’Europe, autant de complications qui se succèdent à un rythme accéléré.
Les événements poussent donc le Japon à définir la stratégie qu’il entend suivre dans un environnement international de plus en plus perturbé. Pour certains, le Japon devrait d’urgence se doter des instruments diplomatiques et militaires correspondant à sa puissance économique et prendre dans les affaires internationales une attitude dynamique au lieu de se borner à réagir aux aléas. La protection des voies d’approvisionnement, la constitution d’une zone d’influence privilégiée, pour ne pas dire exclusive, en Asie non communiste, l’acquisition de l’arme nucléaire devraient faire l’objet de décisions rapides. Cette thèse s’appuie sur une conception dépassée du Japon : celle d’une puissance « régionale » et non celle d’un pays qui vit son développement et qui conçoit sa défense, défense militaire et défense économique, à l’échelle mondiale. Le retour à une conception régionale n’est pas inconcevable mais un tel recul historique ne pourrait résulter que de chocs d’une autre ampleur que ceux éprouvés jusqu’à présent. Alors que de Meiji à la seconde guerre mondiale l’expansion militaire en Asie pouvait être considérée comme le prolongement logique du développement interne, il en est tout autrement aujourd’hui. Cela ne signifie pas que le Japon se désintéresse de l’Asie non communiste et n’y étende pas une emprise de plus en plus nette ; nécessaire, cette suprématie locale ne suffit pas à assurer le développement et la sécurité du Japon. Il a besoin du monde pour ses approvisionnements, pour ses débouchés, pour sa défense.
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