L’Algérie et la République
À une époque où les événements vont vite, il faut replacer ce livre dans l’ambiance du moment où il a paru : juillet 1958. Ainsi pourra-t-on porter sur lui un jugement plus juste.
L’ouvrage se compose d’une introduction dans laquelle l’auteur explique les raisons qui le conduisent à publier cet écrit, ensuite de trois parties, dans lesquelles il étudie successivement le problème de l’intégration en Algérie, la crise de la conscience française, la situation créée par les événements du 18 mai, et enfin d’une courte note finale suivie d’annexes.
Sur le problème de l’intégration, Raymond Aron est formel ; sa conclusion est qu’elle n’est ni souhaitable, ni possible, tant du point de vue économique, que du point de vue social, que du point de vue politique. Il estime les charges financières d’une telle opération hors des moyens de la Métropole, juge que les lois métropolitaines ne sont pas applicables dans le milieu social algérien, et que l’intérêt même des Français est contraire à l’adoption d’une mesure qui, dans quelques années, aboutirait à ce que le tiers du Parlement soit d’origine algérienne et musulmane. Mais l’auteur pense, avec Mme Germaine Tillon, qu’il est possible de trouver et d’appliquer une formule de coopération « entre l’indépendance absolue et la loi-cadre ».
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, l’auteur expose que la France traverse une crise de conscience ; l’Alliance Atlantique ne peut les « fédérer » comme le faisait avant la guerre la menace allemande. L’opinion hésite entre la conception nationale traditionnelle et l’idée européenne. Elle se rend compte que la colonisation d’outre-mer n’est pas rentable, mais elle hésite cependant à l’abandonner. Mais « la véritable controverse est entre les partisans de la vocation africaine, sur la méthode adaptée au siècle où nous vivons ». Or, selon l’auteur, « abandonner la domination et maintenir l’amitié, l’entreprise (me) paraît autrement exaltante que la conquête et la reconquête ». Aussi, ajoute-t-il, pourquoi pratiquer dans tous les territoires une politique libérale et se refuser à la faire en Algérie ?
La troisième partie du livre s’ouvre sur une analyse des sentiments de l’armée au travers des épreuves qu’elle a subies en Indochine et en Algérie ; sentiments faits d’humiliation et de désir de ne pas continuer à perdre la guerre. Mais l’armée a appris, au contact de ses adversaires, qu’il faut une grande idée pour animer les énergies et remuer les masses. L’idée qui lui a semblé la plus noble et la plus capable de jouer ce rôle a été celle de l’intégration.
L’auteur insiste sur le fait que le général de Gaulle n’a jamais prononcé ce mot, et analyse les conditions dans lesquelles il prend le pouvoir et sur les périls qui l’entourent. Les deux dernières phrases de cette troisième partie la résument assez bien : « Soumettre les Français au despotisme dans l’espoir de transformer les Musulmans d’Algérie en Français serait une bouffonnerie tragique. La France algérienne, si elle prétend régénérer la France en la gouvernant, déchirera irrémédiablement la nation ».
Ce résumé rapide d’un ouvrage aussi dense, aussi clairement écrit, n’en donne certainement qu’une faible idée. On peut ne pas partager les opinions et les thèses de l’auteur. Il faut reconnaître qu’elles sont exposées d’une façon remarquable. ♦