Selon leurs options politiques, les Européens – les Français en particulier – ont tendance à voir les États-Unis sous les traits de la puissance tantôt généreuse et tutélaire, tantôt impérialiste et égoïste. Ces stéréotypes viennent d'une ignorance de l'histoire et notamment d'une conception erronée du phénomène historique de l'isolationnisme américain. Revoyant à grands traits l'histoire de la politique américaine, l'auteure montre que l'engagement américain procède à la fois d'une croyance en la « destinée manifeste » des États-Unis et d'une interprétation réaliste des rapports de force dans le monde tendant avant tout à préserver leur liberté de décision.
De Wilson à Carter : mythes et réalités de la politique américaine en Europe
Les liens qui unissent les États-Unis et l’Europe sont souvent perçus par l’opinion française au travers d’une double imagerie. Une imagerie positive qui repose sur les grands moments de l’histoire : la participation de La Fayette à la guerre d’Indépendance ; l’arrivée des premiers détachements américains en 1917, s’écriant en écho « La Fayette, nous voilà ! » ; le débarquement sur les plages normandes en 1944 ; le plan Marshall ; l’alliance atlantique. De cette première série d’images émerge l’idée d’une Amérique généreuse, altruiste, d’une solidarité naturelle entre les deux rives de l’Atlantique reposant sur une communauté d’idéal, la liberté et la démocratie. Mais il est également une imagerie négative : celle du rejet du traité de Versailles, du refus d’aider la France aux heures les plus tragiques de l’année 1940 ; celle des multinationales et de la C.I.A. De cette seconde brassée de stéréotypes se dégage l’idée d’une Amérique égoïste, impérialiste, prête à dévorer le monde, idée qui prévaut bien sûr à l’extrême gauche chez les marxistes, mais que la droite caresse aussi bien souvent (1).
Ainsi se dessine le visage d’une Amérique en noir et blanc (2) d’une Amérique travestie alternativement en ogre et en chevalier, et dont les mouvements cycliques, comme les phases de la lune, commandent une alternance de bons et de mauvais rapports avec l’Europe. En fait cette imagerie simpliste ignore la complexité américaine ; elle privilégie l’apparence (ce que nous percevons d’Europe en fonction de nos intérêts) : elle ignore la substance (les fondements de la politique américaine). Elle est dangereuse, parce que génératrice d’illusions, de malentendus, de déceptions. Celles-ci, dans les dernières années, ont été nombreuses. Au lendemain de la guerre du Vietnam et de la crise du Watergate, le refus américain d’intervenir en Afrique ne signifiait-il pas qu’outre-Atlantique on en revenait à l’isolationnisme ? Par ailleurs, après avoir favorisé les premiers pas de l’unité européenne, l’Amérique, par une politique monétaire égoïste, n’allait-elle pas en bloquer les nouveaux progrès ? N’était-ce pas là un retour en force de la « méchante » Amérique ? Pour y voir plus clair, il est bon de s’interroger sur le sens profond de l’engagement américain en Europe, et de préciser en particulier les intentions des États-Unis lors du grand tournant de 1947-49 et du soutien aux premières étapes de l’unité européenne. Alors pourra-t-on décider en meilleure connaissance de cause s’il existe bien un balancement cyclique de la politique américaine, ou si en dépit des apparences se dessine au contraire une certaine continuité dans la diplomatie des États-Unis.
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