War Time—Temporality and the Decline of Western Military Power
War Time—Temporality and the Decline of Western Military Power
Dans cet ouvrage collectif de haute tenue, le trio Schmitt-Rynning-Theussen orchestre un ensemble de contributions qui s’emparent de la question du rapport de la puissance militaire occidentale au temps. En douze chapitres rédigés par autant d’experts en war studies, le problème de la temporalité du fait militaire vu de « l’Ouest » est abordé en trois axes.
Un premier axe s’intéresse aux origines de la puissance militaire de l’Occident, par le prisme de la « trajectoire » temporelle. Les auteurs se penchent ici sur les sources de cette puissance, en analysant notamment le poids de la séquence de « militarisme civique » qui façonna l’Ouest de 1850 à 1950 dans son rapport au fait guerrier, avant de s’éroder après la guerre de Corée. Les contributions montrent comment le glissement vers un système de financement de l’outil militaire et des interventions extérieures par la dette à partir de la seconde moitié du XXe siècle a alors eu un effet paradoxal sur les États occidentaux, en les rendant à la fois plus forts – car moins redevables aux représentants de la nation, en l’absence d’un système de taxes directement reliées à l’effort de guerre – et plus faibles – car moins légitimés dans leurs interventions au nom de leurs peuples. Cette première partie aborde également les raisons de l’obsession de l’Ouest pour la vitesse, tant au plan stratégique – pour terminer rapidement des conflits coûteux – qu’au plan tactique – pour mettre rapidement K.O. son adversaire. Ce paradigme d’une conflictualité rapide, adapté pour des guerres courtes à objectifs limités, séduit encore largement l’Occident en ce début de XXIe siècle, alors que tous les progrès tactiques tendent à faire croire que « l’hyperguerre » (c’est-à-dire la guerre entre États-puissance à l’ère de la robotique) sera gagnée rapidement. Or, ce réflexe occidental, qui a la vie dure dans une ère de compétition tirée par la course à la technologie, fait selon les auteurs bon marché des deux décennies de longs conflits expéditionnaires où le tempo stratégique n’a pas été en phase avec les succès tactiques initiaux, malgré leur fulgurance. C’est dès lors la question de la capacité de l’Ouest à concilier tempo stratégique et vitesse tactique qui est donc posée, en particulier à l’heure des stratégies de « zones grises » où les conflits sont à la fois accélérés et freinés par les compétiteurs selon le niveau de la guerre considéré.
Un second axe s’attache à examiner le contexte normatif de la puissance militaire occidentale, sous l’angle du clash des « perceptions » entre les grands compétiteurs mondiaux. C’est surtout des normes ad bellum dont il est question ici, avec, notamment, une excellente analyse du challenge posé par la conflictualité en zone grise, dont l’une des caractéristiques est de diluer la frontière temporelle entre paix et guerre qui structure encore fortement la matrice intellectuelle occidentale. Or, sur les trois critères qui sous-tendent cette dichotomie (utilisation de la force armée, niveau d’intensité des combats, organisations visibles de chaque côté), les approches « sous le seuil » font vaciller les perceptions occidentales. On retiendra ici, au-delà de l’analyse des difficultés posées à l’Occident, les pistes proposées par les auteurs pour y répondre. Si l’Ouest doit aussi utiliser – comme il le fait déjà en réalité – certains « outils » propres aux zones grises, il ne doit pour autant jamais affaiblir le levier du droit qui légitime son action, levier qui a valeur de branche sur laquelle l’Occident est assis.
La dernière partie s’intéresse aux problématiques liées au tempo de la guerre et à la soutenabilité du modèle occidental de la guerre. On plonge ici dans le rapport de l’Ouest à la vitesse, qui est loin d’être toujours pertinent selon les auteurs. Les contributions de grande qualité mettent ici en avant le danger de la fascination occidentale pour la célérité, qui fait souvent écran aux notions de temps et de tempo. Or, toutes les orientations conceptuelles occidentales en ce début de siècle – en particulier aux États-Unis – semblent accroître cette quête de vitesse, qu’il s’agisse de vitesse de traitement de l’information, de vitesse de décision ou de vitesse des armements : la célérité est vue comme la clé de la domination tactique. Les auteurs s’attachent donc à déconstruire cette tendance, en s’appuyant notamment sur les cas concrets de l’intelligence artificielle et des armements hypervéloces, pour en montrer les vulnérabilités et surtout les risques dans une ère où il faut savoir combattre à la fois vite et lentement en fonction du niveau de la guerre considéré. Le risque principal serait celui d’un découplage entre les tempos tactiques, opératifs, stratégiques et surtout politiques, découplage dont les enlisements occidentaux des deux premières décennies du XXIe siècle seraient une cruelle illustration. Là encore, l’Ouest doit s’adapter pour être pertinent sur tous les tableaux de la conflictualité, et pas uniquement dans celui du gain tactique fulgurant.
Chaque partie s’ouvre sur une fiction nommée Whaf If, qui donne à voir des scénarios possibles et les défis qui en découlent pour l’Ouest. La première fiction s’intéresse au retrait des États-Unis de l’Otan, la seconde fiction à une prise de contrôle de Djibouti par la Chine sous couvert d’une volonté de protéger ses ressortissants, et la dernière à un échec des technologies digitales occidentales sur un théâtre d’opérations.
À l’heure où la thèse du « déclin de l’Occident » fait florès, cet ouvrage arrive à point pour décanter les vingt premières années du siècle en les plaçant sous le projecteur de notre rapport au temps. Ce décentrage salutaire doit permettre aux leaders occidentaux, et à ceux qui les conseillent, de relever les défis qui s’annoncent à l’horizon. ♦