La guerre en Ukraine a relancé l’Otan. Celle-ci dépendra encore de sa relation avec les États-Unis. Toutefois, la France aurait intérêt à y accroître sa visibilité. Simultanément, nos industries de défense doivent augmenter leurs capacités à produire plus rapidement, alliant technologie et masse, alors que le défi de l’intelligence artificielle (IA) est désormais une réalité.
Comment et avec qui assurer notre inter-indépendance ?
How and With Whom Should We Ensure our Inter-Dependence?
The war in Ukraine has reactivated NATO, which continues to rely on its relations with the United States. It is nevertheless in France’s interest to boost its visibility. Simultaneously, our defence industries need to increase their capability for more rapid production through combining technology and scale, in the face of the ever-present challenge of artificial intelligence (AI).
Après des années « d’endormissement », la guerre en Ukraine a réveillé les consciences. Le sujet de la défense est redevenu une priorité de nature à remettre en cause une certaine « passivité budgétaire ». Cependant, bien que ce conflit fédère l’Ouest autour de la défense de l’Ukraine, il révèle la réalité d’un monde changeant dont le centre de gravité n’est plus eurocentré. Nombre de pays du Sud ont en effet refusé de signer la condamnation de la Russie à l’ONU, et sept ont même voté contre (1), traduisant ce découplage croissant.
L’Otan, un souffle retrouvé
L’Otan a trouvé un nouveau souffle avec ce conflit, en faisant sortir de leur non-alignement coutumier des États comme la Finlande, qui a souhaité rejoindre rapidement l’Organisation. Cette affirmation collective ne veut pas pour autant dire qu’il n’y a pas de divisions, voire d’oppositions. Il y a peu de temps, nous avons pu constater de virulentes oppositions entre la Grèce et la Turquie. Même s’il y a au sein de l’Otan une communauté de destins, des désaccords d’intérêts subsistent et pèsent sur les relations entre les membres.
La ligne d’action est claire, la France doit jouer le rôle qui est le sien au sein de l’Otan : il est important qu’elle s’approprie, s’associe et puisse faire entendre sa voix pour agir de manière concrète et efficace. Eu égard à la participation constante et croissante à l’effort de défendre l’Otan, que ce soit en termes budgétaires (en l’occurrence sa contribution se situe au 4e rang des pays membres) ou par sa participation, entre autres, à la Force de réaction rapide (NRF). En ce sens, on ne peut que recommander et souhaiter que la France puisse s’impliquer beaucoup plus aux programmes d’armement et de recherche dès leur conception dans le cadre de l’Otan (2).
Il appartient donc à la France d’agir au sein de l’Otan et d’y défendre ses positions, plutôt que de diluer ses efforts dans la recherche d’une construction européenne en matière de sécurité, espérée mais toujours en devenir, et qui d’ailleurs n’a jamais profondément mobilisé les États européens !
L’Europe de la défense, un projet en pointillé…
La conception d’un char franco-allemand est à l’état de projet, le Système de combat aérien du futur (Scaf) porté par la France, l’Allemagne et l’Espagne, est dans une impasse tandis qu’Italiens, Anglais et Japonais souhaitent développer conjointement leur prochain avion de combat. Si la création du Fonds européen de défense (FED) témoigne de la volonté de l’Union de soutenir l’industrie de défense européenne, il faut néanmoins reconnaître que l’Europe n’a jamais acheté autant d’armes aux États-Unis qu’aujourd’hui. Signe contradictoire, comme si la vraie réponse à court terme était américaine, cantonnant l’Europe de la Défense à un projet à très long terme. Faut-il rappeler que chaque système d’armes acquis outre-Atlantique génère des dépendances stratégiques pour des décennies ?!
Cependant, s’il est vrai que les États-Unis manifestent un intérêt grandissant à l’égard de l’Asie du Sud-Est, il semble peu probable qu’ils se retirent du Vieux Continent. L’Europe est le berceau historique, politique et culturel des États-Unis. Elle représente, par ailleurs, un marché économique parmi les plus matures au monde et est un partenaire économique et militaire historique de Washington. L’idée d’un désintérêt américain à l’égard de l’Europe ne semble plus être à l’ordre du jour, le nombre de militaires américains déployés en Europe ayant d’ailleurs retrouvé son niveau moyen constant de la période de la guerre froide.
La recherche d’un modèle d’armée résiliente et soutenable
La guerre en Ukraine, a montré que les conflits de haute intensité peuvent avoir des taux d’attrition extrêmement importants et a mis en lumière les graves manques en munitions et en équipements des armées européennes. Ce phénomène a remis en question la doctrine de défense européenne des trente dernières années qui reposait sur le développement et l’acquisition de matériel suffisamment sophistiqué permettant de dépasser les problématiques de masse. Depuis les années 1980, la France a réduit progressivement le nombre de ses effectifs, au profit du développement d’armements toujours plus avancés technologiquement. Le conflit en Ukraine nous montre cependant aujourd’hui que la masse (tant en effectif, qu’en armement) permet souvent d’obtenir un avantage certain sur l’adversaire.
On a pu constater que, bien que la Russie recrute dans ses prisons des soldats inexpérimentés, achète des drones kamikazes à bas prix à l’Iran, ou encore envoie sur le terrain des T-55, chars dépassés depuis longtemps selon les standards occidentaux, elle parvient à remplir de nombreuses missions à bas coût. L’Ukraine a, pour sa part, démontré l’efficacité de certains équipements de combat improvisés, toujours peu chers et rapidement productibles en quantité, dans le cadre de certaines missions (notamment des drones civils convertis à l’usage militaire). Ainsi, si la technologie offre un avantage certain dans plusieurs domaines et pour différentes missions, la masse permet, quant à elle, de répondre promptement et à bas coût à certains besoins opérationnels.
Afin que les industries de défense puissent répondre aux besoins de nos armées, il conviendra de revoir les options retenues jusqu’alors par les gouvernements occidentaux qui privilégiaient l’hyper-technologie à la masse. Les industriels européens produisent aujourd’hui des équipements très avancés, mais ne disposent pas encore de la capacité à pouvoir les délivrer rapidement et en quantité. Il est important de leur donner de la visibilité à moyen et long termes, afin de leur permettre de relancer et d’étendre leurs chaînes de production.
Cependant, pour relever ce nouveau défi, il faut non seulement investir mais aussi recruter des compétences (ingénieurs, soudeurs…). Un exercice qui ne se décrète pas, mais se planifie ! Ni la technologie, ni la masse ne peuvent, à elles seules, assurer les réponses aux enjeux sécuritaires et souverains futurs, notamment dans le cadre de retour des conflits de haute intensité. Seul un mélange des deux permettra d’y répondre efficacement. Dans cet objectif, il est nécessaire que la France soutienne ses industries en déterminant des besoins précis et en favorisant son exportation.
Le nécessaire développement de l’Intelligence artificielle (IA) au sein des armées
Il faut certes se préparer aux guerres du futur proche, en l’occurrence tirer tous les enseignements du conflit russo-ukrainien. Il faut aussi, envisager les ruptures qu’apportent et apporteront avec plus d’acuité les opportunités offertes par l’IA. Une nouvelle façon de faire la guerre émerge. Les États qui posséderont et réussiront à développer via l’IA les moyens d’anticiper, de mailler les champs d’opérations, d’optimiser l’emploi de leur force, de déstabiliser et de détruire les forces adverses, se doteront d’un avantage opérationnel majeur. La Chine a annoncé vouloir investir 150 milliards de dollars d’ici 2030, et les États-Unis 30 Md par an ! Il est urgent de regarder les enjeux en face et d’agir. C’est un vrai défi européen à relever.
Tout État responsable face au dilemme de la guerre doit faire en sorte de se doter de moyens de la gagner ou de ne pas la faire ! ♦
(1) Breteau Pierre, « Résolution sur la Russie à l’ONU : quels pays ont changé de position depuis mars 2022 ? », Le Monde, 24 février 2023 (https://www.lemonde.fr/).
(2) Cour des comptes, « La participation de la France à l’Otan : une contribution croissante », 4 octobre 2023 (https://www.ccomptes.fr/).