L'abrogation, par un décret récent et dans l'indifférence générale, de la grande loi du 16 mars 1882 sur l'administration de l'Armée est l'occasion de rappeler les apports de ce texte de référence et le patient mais inexorable démembrement des principes de saine administration qu'il énonçait. Elle conduit également à s'interroger sur la spécificité et l'avenir de l'administration militaire dont l'évolution semble marquée par la banalisation et la « civilianisation ». Cette question particulière n'a de véritable intérêt que par rapport à une question plus large sur la conception même du commandement, envisagé dans sa plénitude et son unicité traditionnelles ou dans l'éclatement de partenariats croisés au caractère militaire moins affirmé. À cet égard, et avec en ligne de mire une meilleure efficience du ministère, les principes posés par la défunte loi de 1882 peuvent encore éclairer le futur.
La fin de l'administration de l'Armée...
Dans l’ordonnancement juridique du ministère, une discrète euthanasie vient d’être perpétrée, comme il se doit de façon subreptice : la loi du 16 mars 1882 sur « l’administration de l’Armée », signée par le président Jules Grévy et par le général Billot, ministre de la Guerre, a été abrogée. Par un petit article de deux lignes, dans un minuscule décret daté du 16 janvier 2003, qui n’envisage aucune continuité avec un nouveau texte, il a été mis fin à 121 ans d’existence d’une grande loi, dont bien peu de juristes se rappelaient qu’elle avait toujours une modeste place dans le droit positif. Exécutée dans l’indifférence générale, cette loi mérite cependant un bref panégyrique dont il pourra être tiré quelques enseignements pour le présent et pour l’avenir.
C’est un lieu commun de rappeler que l’origine de l’administration de l’Armée, consubstantielle à l’administration de l’État, se perd dans la nuit des temps et l’héritage de la Rome antique. Toujours évoqués par les rares historiens qui s’intéressent à l’histoire militaire, discipline en déshérence dans notre pays, quelques grands noms de l’Histoire de France ont pourtant fondé, développé puis entretenu son autonomie au fil des siècles : Philippe le Bel, Jean le Bon, Richelieu, Le Tellier, Colbert et Louvois, Choiseul, Carnot, Napoléon et Daru, pour ne citer que les plus illustres, avant Grévy. Au lendemain d’une de ces douloureuses défaites qui jalonnent l’histoire mouvementée de notre « cher et vieux pays », après 1870 et les lourdes accusations portées contre le commandement et l’administration de l’Armée (on parlait alors de « l’Intendance ») qu’une solidarité de destin unit toujours, la loi sur l’administration de l’Armée signée par le président de la IIIe République est remarquable à plus d’un titre.
D’abord et ce n’est pas son moindre mérite, elle a l’ampleur de vue, la clarté et la simplicité des vieilles lois, faites pour durer au-delà des contingences politiques et administratives subalternes : il fut un temps, pas si reculé que d’aucuns le croient souvent, où la loi, soumise à un contrôle parlementaire vigilant, fixait un cadre d’action souple sans brider l’action administrative qui pouvait s’épanouir plus librement sous sa bienveillante généralité. Aujourd’hui hélas, le nouveau partage introduit par la constitution de la Ve République entre domaines de la loi et du règlement, l’inflation corrélative de ce dernier, l’esprit cartésien et juridique qui imprègne toute l’administration française se conjuguent pour produire la multitude de décrets, plus exhaustifs les uns que les autres, dont la perfection formelle devient un but en soi et dont la précision irréfragable déresponsabilise des élites administratives formées à grands frais. Ainsi, et il est permis de le déplorer, quelle que soit l’œuvre de codification entreprise au sein du ministère (1), il est peu probable de voir resurgir un texte d’ensemble sur l’administration des Armées (voire d’une seule armée), regroupant de manière cohérente, ramassée et accessible, les multiples dispositions éparses dans les décrets qui ont patiemment démembré cette loi de référence.
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