Historien et journaliste, particulièrement attentif aux problèmes européens et aux relations internationales dominées par le fait nucléaire, l'auteur dresse ici un panorama allant d'une après-guerre à l'autre avec les similitudes que celles-ci présentent : l'anxiété d'un monde qui ne connaît toujours pas la paix et qui est, en 1979 comme en 1929, ébranlé par la crise économique. Mais il souligne aussi les différences fondamentales distinguant ces deux périodes : la volonté des partenaires-adversaires de maintenir l'équilibre de la terreur nucléaire et les profonds changements qui ont modifié l'échiquier mondial avec l'émergence de nouvelles puissances détentrices de la technologie ou des sources d'énergie.
1919 – 1939 – 1979
Il y a soixante ans, le traité de Versailles venait de mettre fin à la première guerre mondiale, il y en a quarante s’engageait la seconde. Il y a trente ans étaient créées la R.F.A. et la R.D.A., et si l’on évoque de temps à autre la possibilité d’une réunification allemande, l’existence de deux Allemagnes reste un témoignage de ce que M. Raymond Aron a défini comme « le grand schisme » du monde moderne. Fin septembre 1929 – il y a donc cinquante ans – s’ouvrait à New York une crise monétaire qui allait provoquer des déséquilibres sans lesquels les événements n’eussent sans doute pas été ce qu’ils furent. Aujourd’hui la crise pétrolière paraît à certains susceptible de s’aggraver jusqu’à devenir un casus belli.
Ces anniversaires se projettent au-delà de ce qu’ils représentent en eux-mêmes, car ils s’inscrivent dans des logiques historiques qui ne sont pas identiques. Comme le premier après-guerre, le second n’a pas connu l’établissement d’une paix véritable, mais alors que vingt ans après le traité de Versailles l’Europe était précipitée dans un conflit qui ne tardait pas à prendre des dimensions mondiales, plus de trente ans après la capitulation du IIIe Reich et du Japon, le monde reste en état de paix, équivoque certes mais réelle, et les conflits survenus depuis 1945 sont restés limités, souvent moins en raison de leur dynamisme propre que par la volonté des États-Unis et de l’U.R.S.S. d’éviter leur extension – les États-Unis et l’U.R.S.S., les « grands Frères ennemis », les « partenaires-adversaires », soucieux l’un et l’autre de maintenir cet « équilibre de la terreur » qui est le fondement de la paix.
À la fin de 1918 on crut entrer dans des temps nouveaux et, comme Goethe à Valmy, voir commencer une ère nouvelle : cette formule, dont on a abusé, était dans tous les esprits. Les vaincus eux-mêmes s’abandonnaient à des espoirs sans limites sur le sort qui allait leur être réservé, et les vainqueurs croyaient que l’armistice de Rethondes avait marqué le début d’une paix éternelle. Le glas des espérances ne tarda pas à retentir, suscitant le choc en retour des faillites et des catastrophes. On vécut dans le « danger perpétuel » que Nietzsche avait annoncé pour un XXe siècle où « un nationalisme de bêtes à cornes » réclamerait « la sélection des vertus viriles ». Comme les guerres de la Révolution et de l’Empire avaient dégagé pour près d’un siècle l’image de la réalité européenne, la première guerre mondiale a bouleversé les choses et les idées. Tandis qu’un monde en création essayait de s’adapter aux conditions nouvelles, les vingt et une années qui s’étendirent du 11 novembre 1918 au 3 septembre 1939 furent pleines d’aventures, de querelles diplomatiques, de désordres économiques et financiers, de « crises » et de « problèmes ». L’instabilité qui succéda à la paix trompeuse de 1918 créa une sensation de provisoire. Ces années se distribuent en quatre périodes obéissant chacune à un rythme propre.
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