Maritime - Rétrospective : activité de la Marine française de 1942 à 1945
Période du 1er août 1943 (fusion avec les FNFL) au 6 juin 1944 (débarquement en Normandie)
Avec la constitution du Comité français de la Libération nationale (3 juin 1943) qui réunit le Comité national français de Londres (général de Gaulle) et le commandement en chef civil et militaire d’Alger (général Giraud), furent rassemblées sous l’appellation traditionnelle de « Marine nationale » les Forces navales françaises libres et les Forces maritimes d’Afrique.
L’appoint des FNFL était notable : 31 400 tonnes de bâtiments français et 45 600 t de bâtiments prêtés par l’amirauté britannique, pour la plupart des escorteurs montés par des équipages aguerris, une flottille aéronavale d’exploration en instruction aux États-Unis, un bataillon de fusiliers-marins qui se battait depuis deux ans dans le désert de Libye, des commandos, et, enfin des bases coloniales de valeur (AEF, Levant, Saint-Pierre, possessions du Pacifique), au total, 6 000 officiers, officiers mariniers et marins.
Le contre-amiral Lemonnier, nommé par le Comité de Libération nationale chef d’État-major général le 31 juillet 1943, assisté du contre-amiral Auboyneau, chef d’État-major général adjoint, exerça le commandement de la Marine nationale sous l’autorité du général d’armée Giraud commandant en chef, les décisions gouvernementales étant étudiées sur le plan militaire par un Comité de Défense nationale que présidait le général de Gaulle. Le nouvel État-major général de la Marine fut constitué par la fusion à Alger de l’État-major des FNFL et de l’État-major de la Marine d’Afrique (la préfecture maritime étant supprimée le 28 août 1943). La nouvelle organisation résultant de la fusion fonctionne à partir du 28 août.
Après l’essai d’un commissariat de la Défense nationale (30 septembre-8 novembre 1943), un commissariat à la Marine fut créé le 9 novembre 1943 et confié par le général de Gaulle à M. Louis Jacquinot.
Cessions de navires par les Alliés
Dès sa prise de fonctions le 1er août 1943, l’amiral Lemonnier faisant le point de la situation de la Marine dans un mémorandum adressé au Haut Commandement naval allié, renouvelait les demandes de bâtiments neufs déjà présentées tant à Alger qu’à Londres. Il insistait pour la remise en état des croiseurs de 10 000 tonnes, l’achèvement du Jean-Bart et pour que nos unités modernisées soient engagées dans les opérations de libération.
Ces demandes ne reçoivent qu’une satisfaction partielle. Les chantiers américains, surchargés de travail, acceptèrent bien quelques bâtiments (Émile-Bertin, Triomphant, Béarn, Cap-des-Palmes, 5 sous-marins, 3 avisos, 2 corvettes, 2 pétroliers), mais demeurèrent fermés au Jean-Bart et aux croiseurs d’Alexandrie. D’autre part, la marine des États-Unis nous céda 6 torpilleurs d’escorte type Sénégalais et 6 escorteurs de 335 tonnes type Cimeterre, tandis que l’amirauté britannique mettait à notre disposition 3 sous-marins dont un pris aux Italiens, 4 frégates et une vingtaine de vedettes de port, mais nos demandes de porte-avions et de torpilleurs d’escadre ne furent pas accueillies. Toutefois, le Tigre et la Trombe, saisis à Toulon en novembre 1942 et retrouvés dans les ports italiens en septembre 1943 furent restitués par les Alliés à la Marine française.
À la fin de 1944, des cessions supplémentaires accrurent notre flotte d’un porte-avions d’escorte (Dixmude), 2 nouvelles frégates, puis 26 escorteurs de 335 t, 44 chasseurs de sous-marins, 45 dragueurs, plus d’une centaine de bâtiments de servitude, une flottille aérienne d’exploration et deux flottilles de bombardement en piqué.
Problèmes du personnel
L’emploi du personnel fut tendu par suite de la limitation des ressources de l’Empire. Le rappel des réservistes d’Afrique fournit, en effet, moins de 8 000 hommes. L’Armée de terre et la Marine marchande, dont la pénurie en personnel qualifié n’était pas moindre que celle de la Marine nationale, insistaient pour que celle-ci leur cédât des contingents de spécialistes et leurs demandes durent être satisfaites dans une certaine limite.
Une École navale fut créée à Casablanca.
Un appoint notable fut fourni par l’arrivée, au cours de l’hiver 1943-1944 de 20 officiers et 1 800 marins évadés de France à travers l’Espagne.
En un an, du 1er août 1943 au 1er août 1944, notre Marine passa de 3 000 officiers et 40 000 hommes à 3 400 officiers et 48 200 hommes, sans compter 1 100 femmes du Service féminin de la Flotte créé le 18 septembre 1943.
Le débarquement en France, s’il augmente sensiblement les charges sédentaires de la Marine, mit cependant à sa disposition, avec les 18 000 hommes encore contrôlés par l’amirauté de Vichy, plusieurs milliers de marins servant dans les Forces françaises de l’Intérieur, ce qui facilite l’armement des unités de flottilles que les Américains nous cédèrent en Méditerranée en juillet 1944 et qui demandaient 170 officiers et 2 700 hommes.
Opérations : escorte de convois
Tandis que les corvettes des Forces navales en Grande-Bretagne et d’AEF, dont 6 tiennent la mer en permanence, poursuivent l’escorte des convois océaniques, au rythme particulièrement pénible des formations britanniques, les torpilleurs et avisos d’Afrique du Nord, qui viennent d’être munis d’asdics et de radars par les Alliés, ont pris en charge les convois côtiers de l’Afrique française puis, à partir de septembre, le trafic entre l’Algérie et la Corse.
Le danger sous-marin, en régression marquée depuis juillet 1943, diminua sensiblement en Méditerranée lorsque l’Italie abandonna la lutte. La Kriegsmarine n’entretient plus alors que 2 ou 3 U-Boote en Méditerranée occidentale, mais son action se trouve appuyée par celle de la Luftwaffe. Si les risques sont moindres qu’au début de 1943, l’activité des escorteurs n’en est pas moins soutenue : 186 convois (dont 75 sous escorte exclusivement française) longent, en 1944, les côtes de l’Algérie, du Maroc et de l’AOF. Du 11 septembre 1943 au 1er octobre 1944 (date de la reprise de la navigation libre en Méditerranée), 99 convois français, à l’escorte desquels participent 47 navires français, acheminent 62 700 hommes, 110 000 tonnes de matériel de guerre et 6 400 véhicules d’Afrique du Nord en Corse, à moins de 150 milles des bases aéronavales allemandes, sans subir d’autre perte que celle du paquebot El Biar, torpillé le 20 avril 1944.
Traqué depuis trente-six heures sur la cote d’Algérie, le U-371 est contraint de faire surface, près de Djidjelli, à la fin de la nuit. Attaqué au canon par le Sénégalais, il est sabordé et évacué par son équipage, non sans avoir lancé contre son assaillant une torpille acoustique qui détruit l’arrière du Sénégalais et lui tue 14 hommes. Cependant en 1944, la Luftwaffe s’efforce de suppléer à l’insuffisance de l’arme sous-marine en Méditerranée.
Dans la soirée du 20 avril le convoi de Corse, revenant vers Alger et comprenant les vieux paquebots El Biar, Marrakech et Médie II, est attaqué par 12 avions torpilleurs. L’El Biar coule après évacuation totale de son équipage et de ses 280 passagers sur la Tempête. Le Tigre évite 6 torpilles et 9 bombes planantes.
Dans la nuit du 31 mai 1944, l’Alcyon, en défendant un convoi allié au large des côtes d’Algérie, engage successivement 4 avions torpilleurs : l’un d’eux s’abat dans la mer et un autre, probablement endommagé, s’éloigne en se débarrassant de ses torpilles.
Du 1er août 1943 au 6 juin 1944, notre Marine marchande a perdu, du fait des avions, 1 paquebot, 8 cargos et le pétrolier Nivôse de la Marine nationale, ces derniers sous escorte alliée.
Hors de la Méditerranée on note deux succès. Un sous-marin attaqué au large de Dakar le 18 août 1943 par un Vickers Wellington de la 2e flottille est considéré par la RAF comme « probablement détruit ». Dans l’océan Indien le Savorgnan de Brazza coule un sous-marin japonais.
La chasse aux forceurs de blocus
Dès le début de l’hiver 1943-1944, la division des croiseurs de 10 000 t, récemment arrivée d’Alexandrie, et celle des croiseurs de 7 700 t, modernisée aux États-Unis, sont rassemblées à Dakar. Pendant quatre mois, ces unités tiendront dans l’Atlantique central l’un des éléments du vaste barrage interposé par le commandement allié sur la route des forceurs de blocus qui s’efforcent de ravitailler l’Allemagne en produits coloniaux. Au début de janvier, au moment du passage d’une « vague » de cargos ennemis, trois de nos croiseurs légers du type Fantasque, participent en outre, à ces opérations à partir de Gibraltar.
Aucun des « forceurs de blocus » ennemis n’avait traversé notre zone, mais l’action de nos croiseurs qui ont parcouru 110 000 milles marins au cours de ces 44 patrouilles d’hiver, joua en définitive un rôle important dans l’échec de la tentative allemande.
Transports rapides de troupes par nos croiseurs
À partir de mai 1944, l’évolution rapide de la situation en Italie nécessita des transports urgents de troupes alliées, pour lesquels nos croiseurs effectuèrent 39 voyages au cours desquels 28 000 hommes ont été transportés entre l’Afrique du Nord et l’Italie ou la Corse sans le moindre incident.
Raids en Adriatique et en mer Égée
Au cours de l’année 1944, nos forces légères rapides ont obtenu de brillants succès contre le trafic commercial que l’ennemi s’efforçait de maintenir le long des côtes occupées. Ces actions, menées en Méditerranée par la 10e Division de croiseurs légers, en Manche par la Combattante et la 23e Flottille de MTB (vedettes lance-torpilles) sous le commandement supérieur britannique, ont bénéficié à plusieurs reprises de l’appui de l’aviation et des organisations de détection électro-magnétique de nos Alliés.
De novembre 1943 à juin 1944, le Fantasque, le Terrible et le Malin effectuent 24 raids à plus de 30 nœuds en Adriatique et en mer Égée, s’enfoncent profondément par les nuits sans lune au milieu des archipels fortement tenus par les Allemands et défendus par de nombreux champs de mines, dont voici les plus importants.
Le 19 novembre 1943 le Fantasque et le Terrible, attaqués par 27 Stukas au sud de Castollorizzo, en abattent 4 sans subir de dommage.
Dans la nuit du 1er mars 1944, devant Premuda, destruction d’un convoi entier composé de 2 cargos escortés par un torpilleur et 2 vedettes. Le 13 mars, attaque dans le golfe d’Arcadie d’un groupe de 6 transports dont 4 sont détruits.
Enfin, dans la nuit du 16 au 17 juin, le Fantasque et le Terrible engagent, dans le golfe de Quarnero, un nouveau convoi de 2 cargos escortés par 4 vedettes. Les cargos et la moitié de leurs escorteurs sont coulés.
Action des forces légères en Manche
En Manche, le torpilleur La Combattante effectua de nombreux raids sur les côtes de France, sauvant les équipages de 3 avions anglais abattus et d’une forteresse volante. Après un premier engagement avec des vedettes allemandes, le 2 décembre 1943, elle remporte coup sur coup deux beaux succès, le 24 avril et le 14 mai 1944, coulant 2 vedettes, en endommageant plusieurs et ramenant chaque fois des prisonniers dont le fils du grand amiral Dœnitz. Le 24 et le 26 août, sous les falaises d’Étretat, et sous le feu des batteries de côte allemandes, elle réussit à couler 4 bâtiments et en avarie 2.
Les vedettes rapides françaises opérant à partir de leurs bases de Cowes, escortant des convois côtiers et patrouillant les chenaux à travers les champs de mines, ont pu prendre à trois reprises, entre février et juin 1944, le contact des patrouilleurs allemands et, torpiller deux petites unités.
Action des sous-marins
Malgré leur état matériel médiocre et leur « sonorité » excessive, nos sous-marins d’Afrique prennent, d’août 1943 à la fin de 1944, une part de plus en plus active aux opérations engagées contre le trafic côtier de la côte de Provence. Renforcés par le Curie (de type britannique), ils effectuent 45 patrouilles ou missions spéciales en Méditerranée, au cours desquelles disparaîtra le Protée, coulé en décembre 1943 devant Toulon, après avoir probablement détruit un navire ennemi. À cette perte, il faut ajouter celle de la Perle due à une méprise d’un avion allié.
Les patrouilles de ces sous-marins français sont marquées par des succès, dont les plus importants méritent d’être rappelés. Le 25 novembre 1943, le Protée torpilla et coula, dans les parages du cap Camarat, un cargo de 2 000 t.
Les 22 et 28 décembre, devant Sice, le Casablanca coule un chasseur de sous-marins et un cargo allemand de 4 000 t entre Camarat et Saint-Tropez.
Le 9 mai, la Sultane et le 9 juin le Casablanca coulent à nouveau un chasseur de sous-marin.
Dans la nuit du 2 au 3 octobre, le Curie attaque avec audace dans le golfe de Salonique trois transports de troupes allemandes, en coule deux et endommage le troisième. La nuit suivante, il réussit à couler une nouvelle unité ennemie.
En Manche, et en mer du Nord, le mouilleur de mines Rubis, poursuivant régulièrement ses missions recevait, au début de 1944, un message de félicitations de l’amirauté britannique au moment où il venait de mettre à l’eau sa 500e mine mouillée dans les eaux contrôlées par l’ennemi. Enfin, nos plus anciens sous-marins fournissaient un effort soutenu pour l’entraînement à l’écoute des escorteurs alliés. Depuis le 1er août 1943, 4 à 5 de nos sous-marins se trouvent détachés dans les écoles d’écoutes françaises ou alliées de Key West et des Bermudes.
Libération de la Corse
Le 9 septembre 1943, la nouvelle de l’armistice italien déclenche en Corse le mouvement d’insurrection préparé depuis plusieurs mois par les sept missions de transport d’agents et d’armes effectuées par le Casablanca. D’Alger, c’est encore le Casablanca, brillamment commandé par le capitaine de frégate Lherminier, qui appareille quelques heures après l’annonce du soulèvement avec un premier détachement de 109 hommes que, trente heures plus tard, il jette sur le quai de la République à Ajaccio. Les Anglo-Américains, dont la situation à Salerne est encore critique, se désintéressent momentanément de la Corse. La présence dans l’Île de plusieurs divisions italiennes et d’une division allemande, la proximité de la Sardaigne encore occupée par plusieurs divisions (dont une blindée) qui tentent de regagner le continent à travers la Corse, obligent le commandement français, qui doit agir seul, à agir très vite. Le général Giraud et l’amiral Lemonnier décident que les premiers transports de troupes seront effectués par bâtiments de guerre. Les croiseurs légers et torpilleurs disponibles en Algérie, la Jeanne d’Arc qui vient d’arriver des Antilles, le Montcalm rappelé d’urgence de Dakar et les sous-marins eux-mêmes transportent dans l’Île, en deux semaines et sans la moindre perte, la majeure partie des 6 600 hommes qui liquideront au début d’octobre la tête de pont allemande de Bastia.
Sur la côte d’Italie.
La participation de nos forces navales aux opérations de débarquement des armées alliées en Italie, septembre 1943, a été occasionnelle et s’est manifestée le plus souvent pendant les périodes de crise lorsque les vicissitudes du combat terrestre appelaient le soutien.
Du 8 au 11 septembre 1943, rattachés à une escadre de croiseurs britanniques, le Fantasque et le Terrible participent à la protection du débarquement de Salerne. En janvier et février 1944, la Gloire et le Berlin, le Fantasque et le Malin, soutiennent de leurs tirs le débarquement et la tête de pont d’Anzio.
Le Richelieu dans l’océan Indien.
Modernisé aux États-Unis, le Richelieu avait été complété en canons de 380 et avait reçu des radars et une puissante DCA légère totalisant 106 canons. Il ralliait la Home Fleet en novembre 1943 et, en février 1944, il prenait part à une opération aéronavale contre le trafic commercial allemand sur les côtes de Norvège. Au début d’avril 1944, il rejoignit via Alger l’Eastern Fleet britannique, à Trincomalee.
Le Richelieu escorte les porte-avions Illustrious et Saratoga dont les appareils exécutent, le 19 avril 1944, un violent bombardement de la base japonaise de Sabang (île de Poulo Weh) à la pointe nord de Sulatra.
Le 17 mai, le Richelieu prend part à l’attaque de Sourabaya (Java), opération au cours de laquelle 21 avions japonais furent abattus et de nombreux coups directs portés aux navires japonais et aux raffineries.
Avec le Renown, 4 croiseurs et 9 destroyers alliés, il assure la protection du porte-avions Illustrious dont les appareils bombardent le 21 juin Port-Blair (îles Andaman) et Sabang le 25 juillet 1944. Après un carénage à Casablanca et Gibraltar, au cours de l’hiver 1944-1945, le Richelieu revient dans l’océan Indien le 20 mars 1945, pour prendre part le 11 avril à un nouveau bombardement aéronaval de Sabang, puis du 30 avril au 6 mai 1945 aux opérations qui ont permis la prise de Rangoon (bombardements de Car Nicobar et de Port-Blair).
En mai 1945, le croiseur léger Triomphant modernisé aux États-Unis rejoignait l’Eastern Fleet.
La Marine française a donc participé effectivement aux opérations offensives qui ont abouti à la capitulation du Japon le 14 août 1945. ♦