De l'URSS à la Russie – Hélène Carrère d'Encausse dans la RDN (1957-2017)
Pour rendre hommage à Hélène Carrère d'Encausse, la RDN publie, dans ce Cahier spécial, ses articles parus dans nos colonnes entre 1957, alors encore inconnue des médias, et 2017, Secrétaire perpétuel de l'Académie française.
Décédée le samedi 5 août 2023 paisiblement, selon sa famille, à l’âge de 94 ans, Hélène Carrère d’Encausse a été une fidèle contributrice de la RDN (1) avec un premier article publié dès mai 1957, traitant de la pénétration soviétique au Moyen-Orient, alors qu’elle commençait sa carrière universitaire et qu’elle était encore inconnue des médias. D’où le grand intérêt des textes qu’elle a fourni à la Revue et qui, au fil des années, montrent l’évolution du système géopolitique imposée par l’URSS tant sur son territoire que sur ses pays voisins. Lire la suite
L’implantation soviétique au Moyen-Orient, dont on constate actuellement les effets, est fort récente puisqu’elle n’a débuté qu’après la mort de Staline. Jusqu’alors, on ne pouvait imaginer que la politique soviétique put un jour devenir « orientale » par des voies pacifiques. Le manichéisme étroit mis en honneur par Jdanov en 1948 divisait le monde en deux blocs irréductibles sans qu’il y eût place entre eux pour une troisième « voie ». Dès lors, la soviétisation du Moyen-Orient ne pouvait se concevoir que par trois moyens : révolution prolétarienne violente ; éclatement des pays de populations plurinationales par l’action de minorités dynamiques pro-russes (Kurdes ou Azéris en Iran par exemple) ; enfin occupation militaire par l’Armée rouge. Or, Staline, et avec lui tous les théoriciens soviétiques, n’ont jamais envisagé sérieusement de telles solutions dont ils pressentaient l’inanité. Ils ne pouvaient faire confiance aux qualités révolutionnaires d’un prolétariat local inorganisé et très limité ; ils savaient aussi que la sensibilité panarabe ou paniranienne s’opposerait toujours efficacement à un séparatisme quel qu’il soit ; enfin ils ne voulaient pas courir le risque d’une troisième guerre mondiale qu’eut inévitablement déclenchée une intervention militaire soviétique. Ces réticences sont pleinement apparues dans le refus soviétique de soutenir en Iran les mouvements séparatistes d’Azerbaïdjan et de Mahabad en 1946, et la révolution Tudéi en 1952. Lire les premières lignes
La crise de juin 1957 en URSS - Hélène Carrère d'Encausse - p. 17-28
L’été 1957 a été marqué sur le plan des événements mondiaux par une crise – apparemment fort grave – au sein de l’URSS Les commentaires n’ont pas manqué pour l’expliquer. La thèse la plus couramment admise fut celle d’une victoire des « libéraux » sur les « autoritaires », c’est-à-dire d’un début de démocratisation du régime ; elle fut suivie de nombreuses autres thèses toutes plus ou moins optimistes. Lire les premières lignes
La pénétration chinoise en Asie - Hélène Carrère d'Encausse - p. 29-43
Il est dans l’histoire des peuples et des continents des dates et des années-clés qui sont comme autant de repères dans la confusion des chronologies. Dans le monde des pays sous-développés, il est deux années qui ont profondément marqué leur évolution et resteront gravées dans leur histoire : 1954 et la pénétration de l’URSS en Orient, puis 1956 et la pénétration de la Chine en Asie. Le sort de l’Asie est en effet bien troublant en présence des deux grandes puissances communistes dont on peut se demander quels seront les rapports sur ce champ d’expansion infini. Y a-t-il en Asie rivalité entre la Chine et l’URSS ? Partage en sphères d’influences ? Ou encore collaboration tactique ? Lire les premières lignes
Il y a une différence majeure entre la vision soviétique de l’avenir de l’Asie et la vision chinoise. La vision chinoise, c’est le danger immédiat que l’Union Soviétique fait peser sur elle ; la vision soviétique est plus politique que militaire. L’interprétation soviétique de ce qui se passe en Asie s’inscrit dans le cadre d’une analyse politique générale beaucoup plus que dans le cadre d’une analyse d’un danger militaire immédiat et d’un conflit dont les Soviétiques n’envisagent pas, disent-ils, qu’il puisse éclater entre eux et la Chine. Lire les premières lignes
Après deux exposés consacrés au système politique soviétique, aux faiblesses des institutions et à leur avenir, il convient de réfléchir aux problèmes de la société soviétique. Peut-elle, à un moment donné, se transformer de société passive qui subit toujours en un élément actif du devenir politique de l’Union Soviétique ? Lire les premières lignes
La crise russe - Hélène Carrère d'Encausse - p. 62-63
Depuis la tenue du colloque dont les communications figurent ici, le paysage politique russe a connu un nouveau bouleversement qui modifie certaines des remarques présentées lors de notre journée de réflexion. Deux faits constituant le changement méritent mention : l’un était attendu, l’autre fut une surprise. Ce qui était au programme de la vie politique russe en mai 1999 était la procédure de destitution (impeachment, mot fort en vogue désormais en Russie) engagée à la Douma à l’initiative du Parti communiste. Cinq chefs d’accusation pesaient sur le Président russe, dont l’un au moins, la guerre de Tchétchénie, pouvait, pensait-on, recueillir la majorité des deux tiers nécessaire à sa destitution par la Douma, étant entendu que cette condamnation devait ensuite être confirmée par d’autres organismes dont la Cour constitutionnelle et la Chambre haute, ce qui mettait le président à l’abri en dernier ressort ; mais l’effet moral d’un vote positif de la Douma eût pu, néanmoins, être désastreux pour Boris Eltsine, assombrissant sans conteste la fin de son mandat. Lire les premières lignes
De l’URSS à la Russie - Hélène Carrère d'Encausse - p. 64-67
Il est incontestable que la Russie est en crise. Elle connaît des turbulences considérables, mais c’est un pays qui existe et joue un rôle international, non seulement en raison du crédit que lui accordent les autres États, mais aussi parce que les Russes estiment que leur pays doit être traité avec considération. Cependant, à Washington on pense que la puissance russe appartient au passé, donc qu’on peut la traiter avec légèreté. L’affaire du Kosovo en est une illustration remarquable. Lire les premières lignes
Le Caucase est sans aucun doute une région d’importance stratégique. Du fait de la présence très importante d’hydrocarbures dans la zone et du problème de l’acheminement de ceux-ci vers l’extérieur. En raison aussi de l’instabilité de la région, où des conflits opposant les trois États de la région (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan) existent depuis maintenant deux décennies. Conflits qui existent au sein même de ces trois États, on pense ainsi au Haut-Karabagh, opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan mais également aux tensions violentes entre la Géorgie et ses provinces d’Ossétie et d’Abkhazie (et dans une moindre mesure avec l’Adjarie). Lire les premières lignes
Russie : la confiance retrouvée - Hélène Carrère d'Encausse - p. 72-74
« La disparition de l’URSS est la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle. » Ce propos de Vladimir Poutine aura été compris hors de son pays comme l’expression d’une nostalgie, voire du regret pour l’Empire disparu. Parfois même comme une allusion à l’action future. Ces interprétations excessives négligent l’essentiel, le désarroi du Président russe devant le nouveau paysage politique, une Russie dévastée, livrée au chaos intérieur et inexistante sur le plan international. En 2017 ce discours appartient au passé. Ce que dit désormais Vladimir Poutine, c’est la confiance que lui inspire le redressement russe, particulièrement sur la scène du monde où le pays a retrouvé son statut de puissance. Lire les premières lignes