Faire la guerre. Chercher la paix. Ni la guerre, ni la paix. Maîtriser l’entre-deux
Faire la guerre.
Chercher la paix.
Ni la guerre, ni la paix. Maîtriser l’entre-deux
Une étude réalisée par les étudiants des Masters
« Armées, guerres et sécurité dans les sociétés », « Dynamique des systèmes internationaux », « GAED : Géopolitique » (Sorbonne Université)
et « Relations internationales » (Paris II-Sorbonne Université)
Sous la direction de M. Tristan Lecoq, Inspecteur général de l’Éducation nationale, Professeur des universités associé (histoire militaire et maritime contemporaine), Faculté des Lettres de Sorbonne Université
Sorbonne Université et Panthéon-Assas (Paris II)
Cahier - Juin 2021 - 104 pages
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Préface - Antoine Coustal, Benjamin Harding, Éléonore Ray - p. 5-7
Depuis cinq ans, l’inspecteur général Tristan Lecoq, Professeur des Universités associé à la Sorbonne donne aux étudiants de son séminaire de recherche « La France et sa défense à l’époque contemporaine. Histoire. Actualités. Enjeux », l’opportunité de publier une étude au sein de la Revue Défense Nationale. Le séminaire rassemble des étudiants de quatre masters de la Faculté de Lettres de Sorbonne Université, « Armées, guerres, et sécurité dans les sociétés » ; « Dynamique des systèmes internationaux » et « GAED (1) : Géopolitique » respectivement dirigés par les Professeurs Olivier Chaline, Olivier Forcade, Philippe Boulanger et Manuel Montana, ainsi que d’un « Master de Relations internationales » commun à l’Université Paris II Panthéon-Assas et à Sorbonne Université, codirigé par les Professeurs Jean Vincent Holeindre, Olivier Forcade et Roseline Letteron. Lire la suite
« Bien des gens trouvent que la guerre n’est plus de notre siècle ; la gloire des armes et la conquête touchent peu une société livrée au mercantilisme, qui sait ce que coûtent les batailles […] Quant aux questions de nationalité, d’unité, de frontières, et autres ; ce n’est faire la critique de personne, de dire que la contradiction est partout. » (1). Pierre-Joseph Proudhon, théoricien politique français du XIXe siècle, dresse en 1869 une analyse quasi-phénoménologique du fait guerrier dans son essai de La Guerre et la Paix, au sortir de la campagne d’Italie de 1859. La naissance des États-nation a, selon lui, créé un environnement propice à l’effacement des diverses composantes discernables de la guerre, alors que celle-ci est elle-même créatrice d’États par le processus unificateur qu’elle imposa à des sociétés primitives (2). Est ainsi illustrée la complexité de « captation » de ce sujet. Une facette millénaire de l’histoire dont on ne saurait dresser un portrait figé, tant le mouvement et l’innovation la caractérisent. Les Grecs, les Romains, les Byzantins, les Ottomans comme les Prussiens l’ont chantée, pratiquée, théorisée. Pourtant, si la guerre est la matrice de toute civilisation, nul n’a su la maîtriser et tous sont passés au fil de cette même épée, preuve de son caractère insaisissable. Lire la suite
« Ainsi, d’un côté, il est très difficile, dans les siècles démocratiques, d’entraîner les peuples à se combattre ; mais, d’une autre part, il est presque impossible que deux d’entre eux se fassent isolément la guerre. Les intérêts de tous sont si enlacés, leurs opinions et leurs besoins si semblables, qu’aucun ne saurait se tenir en repos quand les autres s’agitent. Les guerres deviennent donc plus rares ; mais, lorsqu’elles naissent, elles ont un champ plus vaste » (1). La guerre de haute intensité serait-elle un horizon inévitable ? Lire la suite
L’opération Hamilton constitua la première grande opération militaire d’envergure du quinquennat d’Emmanuel Macron (108), en coopération avec les alliés américains et britanniques. Cette opération représentait une réponse multilatérale aux attaques chimiques (109), en particulier aux massacres de Douma (7 avril 2018) dans la Ghouta orientale, perpétrées non pas par Daech, mais par l’armée syrienne loyaliste de Bashar al-Assad contre les forces rebelles syriennes. L’opération de bombardement eut lieu aux alentours de 3 h 00 du matin dans la nuit du 13 au 14 avril 2018, et visait principalement les sites de stockage et entrepôts d’armes chimiques d’Him Shinshar et le centre de développement et recherche de Barzah/Barzé (province Nord-ouest d’Idlib). Raid d’une grande précision préparé en moins d’une semaine et ciblant par des frappes punitives des sites éloignés de zones civiles, Hamilton constitue un message, et plus précisément un avertissement au régime syrien et à son allié russe. Lire la suite
Face aux critiques des Européens envers le traitement des Ouïghours, la Chine a pris des mesures de rétorsions contre l’Union européenne (UE) en sanctionnant économiquement certaines entreprises et en interdisant la venue de plusieurs personnalités politiques sur son sol (1). Parallèlement, la Chine réalise en océan Indien des opérations avec les autorités russes et iraniennes pour soi-disant sécuriser la région, mais avant tout pour s’affirmer face à l’Occident (2). Le durcissement du contexte international (3) est un phénomène flagrant et visible dans chaque région du monde : au Pôle Nord avec la militarisation du littoral russe (4) ; en mer de Chine méridionale au travers des exactions des patrouilles maritimes (5) ; en passant par l’arc de crise en Afrique où le terrorisme s’organise (6). Si cet état ne témoigne pas d’un embrasement du monde, la paix n’y semble pas tangible pour autant. Cet entre-deux bouleverse aujourd’hui notre compréhension du concept abstrait de la paix qui se définit par la négative, traduisant une absence de troubles, de conflits. Lire la suite
« La France ne menace personne. Elle veut la paix, une paix solide, une paix durable (108) ». Dans ce discours prononcé par le président Macron, la stratégie de défense de la France a pour objectif de contribuer au maintien de la paix et la sécurité, tant sur le territoire national qu’à l’étranger. La France, dans sa lutte contre le terrorisme au Mali, vise à réinstaurer la paix dans cet État gangrené par les conflits. Le sous-ensemble régional de la zone sahélienne, dans lequel se situe le Mali, se trouve effectivement dans « l’arc de crise » que le Livre blanc de 2008 identifie comme « zones critiques » (109) en raison de la vulnérabilité des intérêts économiques et politiques, la France face à l’émergence du terrorisme. On y insiste, au-delà du Mali, sur les risques liés aux États fragiles et aux zones de non-droit. Après des années de stabilité politique et démocratique jugée exemplaire en Afrique, le Mali traverse depuis 2012 une crise socio-politique faisant suite à un coup d’État. Cette situation a engendré une crise institutionnelle et sécuritaire dans le pays, mais également dans toute la Bande sahélo-saharienne (BSS). Les mouvances terroristes profitent des faiblesses en matière de gouvernance, de sécurité et de développement pour s’enraciner durablement et ainsi déstabiliser une région entière en menaçant de transformer la sous-région en foyer de terrorisme (110). Lire la suite
Ni la guerre, ni la paix. Maîtriser l’entre-deux - Benjamin Harding, Nadir Adib, Louis Campagnie, Victor Arnaud, Briac Auclair, Julien Betton, Amélie Chalivet, Laure Duchamp, Pierre-Alexandre Fourré, Guillaume Glaudel, Mehmet Gür Peker, Mandy Martel, Gabin Miguel, Anissa Nabi, Dalla Phibel, Thomas Simon - p. 73-92
Dans son Introduction à la stratégie en 1963, le général André Beaufre dresse les conséquences de la dissuasion nucléaire sur la conflictualité. Il écrit que « la grande guerre et la vraie paix seraient mortes ensemble » à la faveur d’une lutte d’intensité plus basse « devenue permanente » (1). Beaufre a vu en son temps un effacement de l’opposition entre guerre et paix. Cela résonne aujourd’hui avec une permanence de l’insécurité face au terrorisme, au risque de prolifération nucléaire et au retour de la compétition entre puissances retenues par l’Actualisation stratégique de 2021. Il s’agit de menaces qui dépassent le cadre de la guerre pour venir caractériser cette zone grise d’entre deux. Le terrorisme combattu à l’étranger garde sa forme endogène « qui risque de progresser encore demain (2) ». La généralisation du recours aux stratégies usant d’une force en deçà de la guerre et au-delà de la paix s’inscrit dans des actions visant civils comme militaires par des actions de coercition, de sabotage ou de subversion. Lire la suite
Dans ses vœux aux armées du 21 janvier 2021, la ministre des Armées Florence Parly, parle d’une menace « insidieuse », celle « du durcissement de la compétition entre puissances » qui par « des pratiques, désinhibées, peuvent affecter très concrètement le fonctionnement de notre démocratie, de notre société (102) ». On reconnaît là, entre autres, les stratégies indirectes employées par la Turquie en représailles du soutien français aux Grecs en Méditerranée orientale, mais aussi dans une logique de compétition systémique et narrative. Cet espace au contact de conflits en Libye et en Syrie, mais aussi de conflits gelés comme en Chypre, aujourd’hui fragilisé par les crises migratoires, devient l’enjeu d’une compétition politique entre des États dont certains sont pourtant liés par l’Alliance atlantique. Les manœuvres ambitieuses de la puissance régionale turque sont régulièrement interprétées comme émanant d’une politique « néo-ottomane » (103), l’opposant à la Grèce et donc à l’Union européenne. Bien que possédant la plus longue façade maritime (104), la Turquie se sent lésée face à la Grèce qui jouit d’une plus vaste ZEE en Méditerranée où se trouvent de nombreuses ressources énergétiques à l’intérêt économique évident. Quand bien même les frictions frontalières ont effectivement regagné en intensité dans cette zone en tension, plusieurs facteurs empêchent l’escalade vers un conflit armé. La Turquie reste « un hub eurasiatique incontournable pour la politique régionale états-unienne (105) ». Elle met à la disposition de ses alliés sa base d’Incirlik où sont entreposées des armes nucléaires. Elle continue également à contrôler des détroits parmi les plus stratégiques de la région (Bosphore et Dardanelles). Enfin, elle se différencie des autres membres de l’Alliance atlantique par sa culture musulmane et constitue un verrou migratoire pour l’UE. Lire la suite
Postface - « Instruisez-vous ! » - Christophe Prazuck - p. 101-104
J’ai beaucoup de plaisir à conclure le remarquable travail réalisé par les étudiants de Tristan Lecoq dans ce Cahier de la RDN. J’ai quitté depuis peu les rangs de la Marine nationale pour rejoindre les campus de Sorbonne Université. C’est une grande chance et un grand bonheur de découvrir l’université française. D’abord, parce que j’y ai reçu un accueil très chaleureux de la communauté, selon l’expression ici consacrée. Chaleur qui n’est pas exempte de curiosité : quel étrange mammifère marin peut changer de biome aussi radicalement ? Ensuite, parce que je découvre un monde qui m’était inconnu, mes études supérieures m’ayant conduit sur les bancs d’une école d’ingénieur, l’École navale, puis dans une université américaine (1) et enfin, à l’École de Guerre. Lire la suite