Ministre plénipotentiaire, Conseiller des Affaires étrangères, chercheur et co-directeur du Ramsès à l'Institut français des relations internationales, Professeur à l'Institut d'études politiques de Paris
L’océan est un espace de confrontation, de compétition et de coopération. Hier, la mer faisait peur et générait des mythes majeurs comme Ulysse errant pour retrouver Pénélope. Aujourd’hui, la course au contrôle de ce bien commun exacerbe les tensions et les rivalités entre les puissances maritimes. Plus que jamais, l’océan est devenu l’espace des imaginaires. Lire les premières lignes
1990 marque une bascule avec l’effondrement en cours du système politico-économique de l’URSS et de ses satellites. Le modèle économico-libéral semblait devenu la norme internationale avec le rejet du protectionnisme : c’est le début d’une mondialisation censée apporter un progrès général pour tous les peuples. Lire les premières lignes
Note préliminaire : cet article a été publié une première fois en décembre 1986. Lire la suite
Le système international vit à l'ère des clubs. Toutes les organisations inter étatiques peuvent être analysées comme des clubs, ensembles fermés dont les membres sont recrutés par cooptation. En même temps, ces clubs, dont la raison d'être est la paix par la multiplication des échanges et des règles, ont un moteur démocratique qui les pousse à être le plus inclusif possible. D'où un dilemme permanent entre l'exigence de cohésion et la nécessité d'ouverture. Ces clubs suscitent un nouveau type de conflits entre ceux qui sont dedans et ceux qui restent dehors (exclus, parias, voyous). Ces contradictions sont celles de la démocratie : celle-ci doit inclure tous les hommes, mais elle ne peut fonctionner que dans le cadre d'une cité constituée (par exemple, État-nation), d'un espace clos, séparant strictement les citoyens de ceux qui ne le sont pas.
Pour les États-Unis, l'engagement en Irak promet-il d'être un nouveau Viêt-nam ? Désormais, que de facteurs contre les États-Unis ! L'Irak n'est qu'une des scènes d'un vaste affrontement, celui qui oppose la modernité occidentale à tout ce qui lui résiste. Alors, où se trouve le terrain décisif ? Est-il en Irak ? Dans cette perspective, la guerre américaine du Viêt-nam (1964-1973) rappelle qu'un échec ou même une défaite à un niveau peut être une victoire à un autre. Le combat américain au Viêt-nam a « fixé » le conflit Est-Ouest pendant une décennie, durant laquelle l'Asie non-communiste a décollé, montrant que le communisme n'était plus l'avenir de cette région. De même, l'affaire irakienne s'inscrit dans un enjeu beaucoup plus vaste : la transformation du Proche-Orient. Alors pourquoi la victoire ? Pourquoi la défaite ? Trois éléments sont finalement décisifs : la puissance comme capacité d'innovation et de création ; le soutien du vent de l'histoire ; enfin, mais seulement en dernier ressort, une conception claire de ce que l'on veut faire.
L’occupation militaire fait partie des rapports entre entités politiques depuis l’aube de l’histoire. Traditionnellement l’occupation est un instrument, une expression de puissance. Avec la formation d’un ordre mondial démocratique, se développe l’occupation de police à des fins d’intérêt général : il s’agit de prendre en charge une population traumatisée et de la conduire vers la liberté et la prospérité. Or, quels que soient ses motifs et ses objectifs, une occupation reste une occupation, un « extérieur » s’imposant à un « intérieur ». Les changements majeurs concernant l’occupation intéressent peut-être moins ses buts que ses conditions. Un territoire occupé n’est plus isolé, ni isolable. L’occupant bute contre des contradictions sans bonne solution : faut-il imposer à un peuple ce qui est considéré comme le «bien» (économie de marché, démocratie...) ? Les occupations réussies ne sauraient être que des exceptions. Pourtant, sur une terre de plus en plus petite, de plus en plus interdépendante, les occupations sont appelées à se multiplier, toute zone abandonnée pouvant servir de refuge aux activités les plus dangereuses : trafics, caches d’armes de destruction massive, terrorismes...
La souveraineté de l'État subit une double mutation : sa population est appelée à se montrer de plus en plus exigeante à son égard ; quant à la communauté internationale, elle soumettra cet État à une surveillance de plus en plus étroite. D'où une dynamique très profonde de responsabilisation des États : le souverain doit rendre des comptes certes à son peuple, mais aussi à tous les autres. Sur une Terre de plus en plus petite et liée, l'État, chargé d'un territoire, d'une population, n'est plus une île, c'est un élément d'un ensemble. Le passage d'une responsabilité floue, sauvage à une responsabilité organisée, institutionnelle promet d'être particulièrement chaotique, l'enracinement de cette responsabilité étatique requérant des conditions économiques et politiques très précises : croissance économique suffisamment forte pour tirer la majorité des sociétés ; universalisation des États démocratiques, commerçants, convaincus de leur intérêt à préserver ; consécration du droit des individus à contester leur propre État... Ces perspectives sont utopiques, mais comment penser l'avenir sans s'interroger sur les rapports complexes entre souhaitable et possible ?
L'Angleterre – celle des manuels d'histoire – et la France sont bien deux soeurs, opposées par d'interminables rivalités, mais, paradoxalement, indissolublement liées par leur permanente confrontation. Aujourd'hui l'Angleterre, après de longues aventures dans le grand large, est de retour en Europe ; la voici à nouveau petite île. Or cette Angleterre est très précieuse pour l'Europe. Qu'il s'agisse du régime parlementaire, de la révolution industrielle ou de l'adaptation à la mondialisation, elle est comme un laboratoire, osant la première poser des questions délicates : ainsi l'État-providence doit-il et peut-il survivre à la multiplication sans précédent des flux planétaires ? L'Angleterre apporte beaucoup à l'Europe, en particulier son sens aigu des réalités géopolitiques. Alors la France doit continuer de tout faire pour mieux insérer son partenaire d'outre-Manche dans l'édification de l'Union européenne et, à terme, asseoir un triangle Paris-Berlin-Londres.
L'une des faiblesses structurelles de l'Union européenne réside dans son extrême difficulté à se penser comme un ensemble géopolitique, comme une entité inscrite dans l'espace et le temps. Cette myopie s'explique par trois raisons fondamentales : la protection du grand allié américain, chargé, lui, des enjeux géopolitiques, du Proche-Orient aux armes de destruction massive ; la philosophie de la construction européenne menée comme un processus démocratique, institutionnel, liant les États par des valeurs et des règles communes ; enfin, probablement, une certaine lassitude des Européens qui se sont tellement fait la guerre. Aujourd'hui, l'Union est vouée à assumer cette dimension géopolitique, d'abord parce qu'elle sera jugée comme un succès (ou un échec) historique par sa capacité (ou son incapacité) à organiser et développer sa périphérie, de l'Afrique à la Russie. L'Union européenne, profondément pacifique, ne saurait oublier qu'elle fait partie d'un monde toujours régi par la guerre.
La doctrine Bush, lutte totale et permanente contre le terrorisme, se donne comme instrument majeur « l'action militaire pre-emptive » : anéantir la menace dans l'œuf, frapper l'ennemi avant qu'il ne puisse agir. Cette question de la guerre préventive fait partie de ces débats stratégiques qui reviennent régulièrement. Les principes donnent finalement une réponse ambiguë : l'usage de la force ne saurait être admissible que pour réparer un tort ; en même temps, comment interdire totalement à un État, ou une communauté d'États, de prendre l'initiative, dès qu'il est sûr que l'adversaire développe des armes redoutables ? La prévention est-elle efficace ? La guerre est par nature imprévisible. Elle n'est jamais le produit d'une volonté parfaitement libre, mais le fruit d'une combinaison hasardeuse de circonstances et de calculs. La plupart des guerres pouvant être présentées comme préventives ont échappé à leur initiateur. Pourquoi une action militaire préventive en Irak échapperait-elle aux lois multiséculaires de la puissance et de ses aléas ? Cette action ne peut être limitée ni dans l'espace, ni dans le temps.
L'immigration est ressentie aujourd'hui comme une menace, dont il serait nécessaire et possible de se protéger par une politique de forteresse. Or les migrations sont une composante normale de la vie des sociétés. De plus les gouvernements n'ont qu'une capacité limitée à contrôler les flux humains. La mondialisation, même si les espaces terrestres sont occupés et partagés entre des États souverains, appelle une banalisation des migrations. Capacités de comparaison des populations, facilités de transport, émergence d'un marché planétaire du travail, enfin diffusion des droits de l'homme, tous ces facteurs concourent aux migrations. Les politiques d'immigration, en général policières, sont vouées à être profondément repensées et à s'internationaliser de plusieurs manières : coopérations entre gouvernements, entreprises et mouvements associatifs entre États d'accueil et États de départ.
Constatant l'impuissance des Nations unies, incapables d'imposer une paix démocratique, l'auteur analyse les conditions nécessaires pour que la paix s'établisse et se maintienne. L'exemple de l'Europe de l'après-guerre montre qu'il faut qu'elle soit imposée par le vainqueur qui définit le nouvel ordre, d'où la notion de paix impériale, en attendant qu'un « policier démocratique » se substitue au « gendarme impérial ». Lire les premières lignes
Alors que l'unilatéralisme s'impose comme une dominante de la politique étrangère américaine, le multilatéralisme demeure bien l'un des mouvements de fond du système mondial, porté à la fois par la formidable efficacité de la machine à produire des richesses, la multiplication des interdépendances et la diffusion des principes démocratiques. Dans la pratique, unilatéralisme et multilatéralisme sont voués à être associés dans des mélanges variables et changeants, le champ international restant régi par des rapports de force entre États souverains et inégaux, tout en commençant d'esquisser quelque chose comme une société interétatique. L'unilatéralisme s'inscrit dans l'univers de la guerre, le multilatéralisme dans celui de l'échange. Le multilatéralisme a besoin de prospérité. Que surviennent des difficultés graves, les États privilégient leurs atouts propres et pratiquent, dans la mesure de leur force, l'unilatéralisme. Il n'en demeure pas moins que le multilatéralisme, tout en étant condamné à être très imparfait, est dans la logique de la démocratisation de l'ordre international, cette démocratisation, pour être pacifique, requérant un contrat entre les États, fixant pour tous des droits et des devoirs égaux sous le contrôle d'autorités incontestables.
L'égalité, comme l'écrivait Tocqueville, est la grande passion des sociétés démocratiques, au cœur du système international contemporain, dont la rhétorique et les principes se revendiquent comme démocratiques. Or la réalité internationale est structurellement inégalitaire, la promesse d'égalité exaspérant les frustrations entre grands et petits États, entre Occident et Sud. Ainsi, chez la plupart des États du Tiers-Monde, le droit d'ingérence, qui, pour le moment, ne s'exerce que chez eux, est-il dénoncé comme une forme de néo-colonialisme... D'où des bricolages compliqués pour masquer l'inégalité, mais y a-t-il un instrument susceptible de dépasser cette tension entre égalité et inégalités ? Probablement le développement économique, sans être en aucune manière un remède miracle, peut-il maîtriser ou au moins atténuer les aigreurs de la mondialisation en traçant la perspective d'un futur meilleur − donc moins inégal − pour tous.
Parmi les innombrables questions que soulève la tragédie du 11 septembre 2001, figure celle du sentiment qui guide les auteurs des attentats : la haine de l'Occident. L'univers des relations internationales est présenté comme un monde de calculs froids. Il n'en est rien, les émotions, les sentiments y pèsent très lourd ; ainsi la haine. Le choc de la modernité occidentale, en brisant toutes les barrières, en promettant à l'individu le droit au bonheur, conduit chacun à comparer sa situation à celle de l'autre, suscitant toutes sortes de frustrations. De même que la haine de la bourgeoisie fut un moteur historique dans l'Europe des XIXe et XXe siècles, la haine de l'Occident marque les rapports Nord-Sud. Celle-ci peut-elle acquérir le rôle politique central qu'eut celle-là dans l'Europe de la première moitié du XXe siècle ? Deux conditions doivent être réunies : cette haine doit disposer de machines politiques, en clair d'États, qui fassent d'elle le vecteur de projets (comme le furent l'Allemagne nazie ou le Japon impérial) ; cette haine doit être portée par le climat de l'Europe, et inspirer les relations inter-étatiques. Pour le moment, ces conditions ne sont pas réunies.
Les missions de police internationale se multiplient. Le monde est-il en train de sortir de l'âge de la guerre ? La guerre implique une jungle, dans laquelle les États se trouvent en lutte permanente les uns contre les autres, le but de chacun étant la victoire, avec la conscience de sa précarité. La police requiert une forme de société, avec un contrat fondateur. Le policier garantit le respect des règles du jeu. L'objectif n'est plus la victoire mais la paix et la réconciliation. Pourquoi une telle évolution ? À l'échelle internationale, des sociétés, des communautés se constituent, les États participants partageant des intérêts essentiels et d'abord l'attachement prioritaire à une gestion transparente et pacifique des échanges de toutes sortes. Dans ces conditions, la conquête territoriale semble appartenir au passé. Désormais la richesse et la puissance ne viendraient plus du pillage mais du commerce et de la création. Lire la suite
La mondialisation a désormais sa contestation, les mouvements dits antimondialisation, mais peut-on y échapper ? Le repli sur la souveraineté étatique ne peut que condamner à la stagnation économique, à l'appauvrissement, quand croissance et interdépendances sont indissociables. Tout développement économique exige de s'insérer dans les flux internationaux. Dans ces conditions, la constitution d'ensembles régionaux ne permet-elle pas de se protéger de la mondialisation, d'en amortir les chocs ? Sans doute, mais, si la régionalisation se veut source de prospérité pour les participants, elle aussi doit demeurer ouverte sur les flux extérieurs, la croissance interne de tout ensemble régional ne pouvant se priver du moteur de la croissance mondiale. En définitive, la mondialisation appelle des mécanismes politiques mondiaux, donc des formes de démocratie planétaire. Le chantier est immense, contraignant l'État souverain, espace où se concentre la légitimité politique, à accepter l'émergence de modes de citoyenneté, de participation politique le contestant et le transcendant.
Le développement du droit et la multiplication des normes internationales caractérisent le système mondial. Dissipant les illusions qui se forment autour du droit − le droit est un ensemble cohérent et harmonieux ; le droit est au-dessus des rapports de forces ; le droit fait régner la paix et la justice − l'auteur met l'accent sur les trois types de conflits de droit auxquels on peut assister dans les relations internationales : conflits entre principes, par exemple résultant des contradictions entre souveraineté des États et ingérence ; conflits entre organisations, le plus flagrant étant celui entre l'Onu et l'Alliance atlantique ; conflits entre juridictions, ultimes gardiennes des ordres juridiques. Tous ces conflits entre droits, entre institutions sont appelés à se développer, ce qui nous met à l'abri d'un ordre unique et harmonieux, probablement tyrannique.
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