Nous allions autrefois à Cesson-Sévigné. C’était le bout du monde, terminus du tramway qui, de Rennes, nous y amenait. À mi-route était une station dite Tournebride, opportunité offerte aux voyageurs déçus. Jamais nous n’y descendîmes : Cesson était un village charmant. La route de Paris enjambait la rivière par un pont en dos d’âne. Lire la suite
En 1980, la jeune revue Stratégique publiait un article où Lucien Poirier annonçait, non sans appréhension, le règne du « Tout qui n’a pas de nom ». Par cette merveilleuse formule il désignait le magma indistinct dans lequel il voyait les nations, peu à peu, se dissoudre. Comme il en va souvent des bons mots, celui-ci dépassait l’intention de son auteur et le Tout qu’il suggérait est « plus total » qu’il ne l’imaginait. Sur l’objet qu’il scrutait, il avait raison : la puissance des nations a perdu les repères que nous lui assignions et on peinerait à définir le domaine où elle puisse encore s’exercer. Lire la suite
Un homme ouvre, à l’occasion, un tiroir longtemps délaissé. Il y découvre une montre qu’il y avait déposée et dont le souvenir même l’avait quitté. Il la prend, l’examine, s’en souvient, constate qu’elle tourne et que l’heure qu’elle affiche est juste. Depuis quelques mois, donc, bonne montre, bonne pile, elle poursuivait dans l’ombre son travail, matérialisant le temps qui passe. Pour personne. Imagine-t-on sort plus triste que celui de cette montre consciencieuse, ignorée des humains pour lesquels elle travaille ? Lire la suite
Musulmans pour Portugais et Chrétiens pour Espagnols, la plaisanterie d’Alphonse Allais serait d’actualité. Alors que les Chrétiens, à l’exemple de Job, peinent à vivre sous le regard de Dieu, cette situation met les Musulmans en joie. L’opposition mérite réflexion, étant entendu qu’aux yeux des Musulmans nous sommes tous Chrétiens et que les joyeux Musulmans dont je parle ne sont pas les radicaux d’aujourd’hui : ceux-ci, comme tous les militants, sont les plus ennuyeux des hommes. Lire la suite
Tous à tu, tous à toi, tous à tu et à toi ! Dans le duel où s’affrontent, de longue date, nos « deuxièmes personnes », le vous aujourd’hui succombe, le tu tue le vous. De mon temps, les enfants vousoyaient leurs parents et la réciproque s’entendait aussi. L’usage discret qu’on en faisait donnait du sens au tu. Dans l’armée, le respect de la hiérarchie interdisait le tutoiement de grade à grade et même à grade égal. Seule, l’appartenance à une même promotion d’école autorisait le singulier et un colonel attardé se délectait à jeter un tu vengeur à la face d’un général d’armée plus rapide dans la course aux étoiles. À l’inverse, tutoyer le soldat était de bon ton. Lorsque cette pratique fut interdite, de petits chefs tutoyaient encore, au risque de se voir tutoyés en retour. Mais être tutoyé par un grand était un honneur, par lequel les Oulad Bigeard se distinguaient du tout-venant. Lire la suite
Il y a quelque vingt ans je rencontrai Bernard Kouchner, occurrence heureuse qui ne se renouvela pas. Il n’était alors que french doctor ce qui, en ces temps d’élections prochaines, m’autorise à évoquer ce souvenir. Un colloque à la Sorbonne, auquel nous assistions l’un et l’autre, avait pour objet la situation du monde. Ce fut un concert de lamentations, non sur le monde mais sur la France dans ce monde. Quand le concert se tut, Kouchner, que je ne connaissais pas, se leva et, en quelques mots bien sentis, exprima l’indignation que suscitait en lui, familier de la vraie misère et des vrais malheurs, la plainte des nantis bien tranquilles qui occupaient la salle. La poignée de mains que j’échangeai avec lui, ce jour-là, fut des plus chaleureuses. Lire la suite
Les grammairiens arabes ont été fort subtils. Il le fallait puisqu’il s’agissait pour eux de fixer les règles de la langue parfaite, celle dans laquelle, par la bouche du Prophète, Dieu lui-même s’était exprimé. De leur subtilité, la réglementation du nombre grammatical est un bon exemple, dont l’actualité fournit l’illustration. Lire la suite
Nous savons, depuis que l’Union soviétique nous a tant manqué, combien il est difficile de se passer d’ennemi. L’ennemi définit l’autre et moi-même. Diable ! Sans ennemi, qui suis-je ? Impossible de rester en l’état, il nous faut en inventer. Lire la suite
Combien de lieutenants, combien de capitaines
Étaient partis joyeux pour des courses lointaines
Et puis sont retournés pleins d’usage et raison
Vivre au pays natal leur dernière saison ! Lire la suite
Considérant que, comme d’éminents philosophes l’ont annoncé de longue date (1), il n’y a plus, dans la portion de planète qu’on appelle Occident, d’événements susceptibles de nourrir l’esprit des hommes et d’exercer leur capacité de résilience, Lire la suite
Restaurer l’esprit de défense est une tâche ardue à laquelle les spécialistes s’appliquent avec une constance méritoire. La difficulté tient en deux propositions : notre pays en ses frontières n’est menacé par personne ; le serait-il, il n’est pas certain que l’on trouve beaucoup de Français prêts à mourir pour sauver la société que l’on voit. Ma seconde proposition, dira-t-on, est sans valeur, la réapparition d’une grosse menace étant propre à susciter un patriotisme nouveau. Soit ! En attendant, les nostalgiques de l’esprit de défense ne ménagent pas leur peine pour substituer à l’amour de la patrie des « valeurs » qui mériteraient qu’on se batte pour les défendre ou les répandre. À y bien regarder, ils n’en proposent que deux : la liberté et la laïcité. Or ni l’une ni l’autre n’est, en soi, une valeur. Lire la suite
Contemplant la vignette que notre revue a le bon goût de placer en tête de ce billet, l’idée me vient de vous parler de l’écriture. Ce n’est pas un petit sujet. Les divinités antiques s’en inquiétaient déjà et Platon, dans son Phèdre, rapporte que le Dieu de Thèbes à qui Theuth, chercheur infatigable, présentait sa dernière trouvaille qui était l’écriture, refusa de l’adopter, la jugeant grosse de dangers. Il ne s’agissait pourtant pas d’Internet, qui eût mieux justifié ses alarmes. Laissons Theuth à ses problèmes, les internautes à Internet et restons entre nous, vieux de la vieille. Lire la suite
Je disais l’autre jour à un mien camarade que l’entropie, piège pour Trissotin, me paraissait aujourd’hui un concept fructueux. Mon ami se pique de science et sait que je n’y entends rien. Aussi rappela-t-il, simplifiant à mon usage, que si je mêle un demi-verre d’eau chaude et un autre d’eau froide, j’obtiens un verre d’eau tiède lequel, si je le laisse tranquille, sera bientôt froid. Toute énergie se dégrade en ce bas monde en sorte que celui-ci, abandonné à lui-même, tendrait vers l’indistinction. Assuré de ce point de départ, nous observâmes de concert que le propre de l’homme pourrait bien être de lutter contre cette dégradation entropique. Sur quoi mon interlocuteur, féru de mauvais calembours comme le sont souvent les savants désireux de se divertir, proposa de nommer « néganthrope » le trublion humain. Lire la suite
Au début de cette année, la rue musulmane s’est enflammée en Tunisie, Égypte, Libye et quelques autres lieux. Bête comme toute rue, son inflammation n’en est pas moins porteuse d’un immense espoir. Voici pour les musulmans l’heure de vérité. Aucun régime, en pays d’islam, ne s’approche de la démocratie. Il n’en existe que de deux types, le despotisme éclairé et le despotisme islamique. Cette malédiction peut-elle être surmontée et l’islam peut-il, en un aggiornamento prodigieux, rejoindre le courant des Lumières que nous avons nous-mêmes lancé il y a quelques siècles ? Immense espoir, immense péril en même temps. De quel côté va pencher la balance, vers un islam douteur à notre image ou vers la perpétuation du même, conforté dans ses certitudes sclérosantes ? La nature du pouvoir en islam est au cœur du débat. C’est, bien sûr, dans les États de pure orthodoxie qu’il faut l’observer, dont l’Arabie Saoudite et l’Iran fournissent les modèles. Lire la suite
Le 20 janvier dernier, on fêtait place Joffre le retour de la guerre, plus exactement celui de l’école où on l’enseigne. C’est que, depuis la disparition de l’Union soviétique, elle n’était plus de mise : « guerre » devenue gros mot, c’est défense qu’il fallait dire. Faisant d’une pierre deux coups, on avait aussi décidé que l’École serait désormais Collège, gagnant ainsi en prestige international, ce dont notre académie militaire n’avait nul besoin, sa réputation n’étant plus à faire ; à tout problème, disait un bon mot où la vieille dame ne voyait pas malice, il y a deux solutions, la bonne et celle de l’École de guerre. L’affaire venait de loin puisqu’en 1969 déjà, le ministère des Armées, confié à Michel Debré, avait été rebaptisé ministère de la Défense. Lire la suite
Le chevalier Assange, vêtu de probité candide et de lin blanc, s’est mis en tête de pourfendre les puissants, dévoilant, grâce aux moyens actuels d’intrusion et de diffusion, leurs turpitudes. On ne sait, à vrai dire, s’il s’est mis cela en tête ou si, zombie d’Internet comme on dit rat d’égout, il n’a fait que réaliser ce qu’Internet permet. Plus étonnant que la performance technique est l’enthousiasme que celle-ci a soulevé dans la populace numérique et le soutien que d’autres zombies ont apporté au trublion dans les tracas que la justice lui cause. Un « collectif » fort bien nommé Anonymus s’indigne de voir Julian pris à son propre piège et ses petites médiocrités à leur tour dévoilées. La délicatesse n’étant pas le fort de notre époque, nul n’ignore désormais les défaillances caoutchoutières qui perturbèrent, dit-on, les galipettes julianesques. Lire la suite
« Quiconque exerce le pouvoir aux ordres d’un parti, celui-là doit être considéré comme le pire ennemi de l’État ». De Gaulle ? Lire la suite
L’inflation monétaire fait horreur aux économistes modernes, dont le premier souci est de la juguler. Il en est une autre, galopante celle-là et partout célébrée : l’inflation du respect. Au temps jadis, le respect était sélectif, et par définition. « Mes respects, mon général ! », l’expression routinière en est le bel exemple, encore que certains d’entre nous, rebelles à cette routine, tenaient à honneur de simplement présenter « leurs devoirs ». Bref, une hiérarchie existait, permettant de reconnaître qui était très respectable, qui l’était un peu et qui pas du tout. Voici désormais le respect exigé par chacun, quelque petit qu’il soit. Lire la suite
Difficile de rêver quand on sait que la Terre est ronde. Tout le monde le sait, heureusement nul n’y croit : la Terre continue d’être plate, au diable Copernic, au diable Galilée ! Qui pourrait vivre dans l’idée qu’il a la tête en bas ou bien, s’il l’a en haut, que d’autres aux antipodes l’ont en bas ? Personne. Qui pourrait supporter plus d’un instant la perspective d’être emporté dans une ronde vertigineuse à double révolution ou, pire encore, de se voir cloué au sol comme un peson par la force gravitationnelle ? Personne. Tout le monde sait aussi que la matière n’est que vide sidéral où tourbillonnent à l’aise de minuscules particules. Tout le monde le sait, heureusement nul n’y croit. Qui pourrait survivre, sans cesse conscient de cette abracadabrante interprétation de l’évidence visible ? Personne. Tout le monde sait encore que notre corps est constitué, pour l’essentiel, d’eau. Heureusement, nul n’y croit. Qui pourrait s’accepter sous la forme d’une outre ? Personne. Lire la suite
Le major William, de l’US Air Force, que tout le monde sur la base appelait Monsieur William, allez savoir pourquoi, trouva à la sortie le taxi qu’il avait commandé. Le chauffeur était visiblement issu de la diversité, bronzé et barbe noire. Le pare-brise de la voiture était agrémenté de la bimbeloterie qu’on voit pendre au rétroviseur des autobus d’Orient et des taxis-brousse africains. « 13e avenue », jeta William au barbu. Une 13e avenue existait-elle à Las Vegas ? William l’ignorait. Pas le chauffeur, qui démarra sans poser de question. Lire la suite
On se perdrait facilement dans les voiles où se dissimulent les femmes musulmanes : hijâb, niqâb, burqu’, khumur, on en passe ! Retenons donc hijab pour le voile de tête et burqa pour la housse intégrale. Le premier ne devrait pas nous tracasser. Nos mères se couvraient d’une mantille pour entrer à l’église, selon la recommandation de Paul (Première épître aux Corinthiens, 1 14. « À cause des anges »). Sans doute le hijab est-il devenu dans nos cités signe de reconnaissance, plus facilement arboré que la kippa et plus visible que la croix que portaient autrefois nos jeunes filles. Mais laissons cela aux malheureux qui sont en charge de notre identité et venons-en à la burqa. Le malaise que son usage suscite doit être tiré au clair. La burqa ne laisse voir que les yeux, et souvent à travers un grillage de prison. C’est plus qu’il n’en faut, dira-t-on, pour troubler les fripons. Les femmes houssées le savent, qui rehaussent l’éclat de leurs prunelles de maquillages coquins. Mais c’est de visage qu’il s’agit. Robert Redeker a récemment rappelé que sa mobilité expressive est le propre de l’homme, par quoi il entre en communication avec ses semblables. Sans visage, ou celui-ci confisqué par le mari, la femme, hors la chambre, n’existe plus. Pas besoin de loi nouvelle pour interdire la chose, le bon sens y suffit. Lire la suite
Qu’est-ce que Dubaï ? Le deuxième émirat des sept qui, sur la Côte des Pirates, forment par leur union un État jamais vu ? Exact ! Le champion de l’immobilier, hôtel le plus étoilé, tour babélienne narguant le Très-Haut de ses 828 mètres, résidence dont les appartements tournent sur eux-mêmes au gré des résidents, île artificielle en forme de palmier ? Sans doute ! Un pays musulman que les terroristes respectent, tout corrompu qu’il puisse leur apparaître ? Vrai ! Une société de capitalistes, riches de l’huile précieuse cachée par Allah sous leurs pieds et découverte par les pisse-debout, et qui, leur pétrole s’épuisant, continuent à entreprendre grâce au labeur d’immigrés indo-pakistanais qui considéreraient nos sans-papiers comme de paisibles rentiers ? Bien sûr ! Tout cela pourrait se résumer d’un mot : surréaliste. Lire la suite
Il est des objets auxquels il est dangereux de penser. Ainsi de soi. Le Connais-toi toi-même a ses limites, n’en déplaise au bon docteur Freud : tout connaître de soi empêcherait qu’on vive, et il est heureux que le débat sur l’identité française ait tourné court. Voyez aussi le temps et ce qu’en dit Augustin. Le temps ne fait que passer et le présent n’existe pas : niché dans le futur, il meurt dès qu’il est là, aussitôt enseveli dans l’immense cimetière des choses advenues. Lire la suite
À la fin de l’an passé est née une petite querelle, petite en son écho, énorme en son objet. Il fallait, pour la connaître, naviguer dans les blogs, écrits immatériels rédigés par des zombies à l’intention d’autres zombies, immatériels aussi. Lecteur-zombie à mes heures, j’appris d’abord qu’il existait en France une Académie des sciences d’outre-mer. Elle est héritière de l’Académie des sciences coloniales, rebaptisée en temps utile comme le fut l’armée coloniale. On peut l’imaginer studieuse, peuplée de vieux bougres évoquant leurs souvenirs. Lire la suite
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Institutions, ministères, médias...